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L’obligation de convertir les quantités en valeurs donne lieu à des calculs longs et nombreux. Il faut chercher dans le tarif le prix attribué à la matière qu’on veut décrire, et multiplier par ce prix le poids, le nombre, le volume, la mesure. C’est une opération délicate et dont l’importance est extrême, car l’exactitude de toute la comptabilité en dépend. Après la tâche que ces calculs imposent aux fonctionnaires qui dressent les comptes, ils sont l’occasion d’un travail énorme pour le bureau central du ministère et pour la cour des comptes, chargés de les contrôler en examinant une à une les applications du tarif. On peut se faire une idée du temps et des soins que demande la vérification de ces calculs pour toutes les entrées et les sorties opérées dans le cours de l’année sur chacune des 28,000 unités simples de la marine. On essaierait bien de simplifier ce rouage, si l’on ne risquait de détruire du même coup tout le système dont il est la pièce principale.

Le second défaut que l’on reproche à la méthode-valeurs, c’est de permettre les détournemens. Du moment où l’unité prise en compte est non l’objet lui-même, mais sa valeur en argent, il semble évident que, dans le cercle de la même unité collective, le comptable peut remplacer les unes par les autres les matières qui la composent, pourvu qu’en définitive la valeur totale de l’unité collective ne soit pas changée. Comme il n’est tenu de justifier dans son compte que de l’entrée, de la sortie ou du reliquat d’une certaine somme, il peut n’envisager que le résultat final, et se réserver toute liberté sur la façon de l’obtenir. Or il y a là un danger réel. La valeur officielle des matières dans les écritures n’est pas la valeur exacte, le prix du commerce ; il y a toujours entre ces deux valeurs une marge plus ou moins grande : pour certains objets, le prix du commerce est supérieur, pour d’autres il est moindre. Le comptable a donc toujours sous la main l’occasion d’un excellent trafic. Il peut vendre à son profit les matières qui sont plus chères sur le marché et les remplacer dans son magasin par celles dont le prix est inférieur à l’estimation officielle ; les quantités et les matières confiées à sa garde seront changées, mais il représentera en somme une valeur conventionnelle égale. Il aura réalisé un bénéfice au préjudice de l’état, et cependant on pourra toujours le croire le plus fidèle des comptables, puisque l’actif apparent de l’arsenal n’aura subi aucune diminution. Supposons, par exemple, que dans un magasin se trouvent renfermés 10,000 kilogrammes de cuivre rouge estimés 25,000 francs au taux officiel de 2 fr. 50 cent, le kilogramme, et une égale quantité de cuivre bronze évalué également à 2 fr. 50 cent, le kilogramme. Le garde de ce magasin est donc responsable, au titre de l’unité collective cuivres, d’une valeur de