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qu’on avait voulu lui fermer. L’imprévu a éclaté sous la forme d’un coup de vent parlementaire, d’une crise aiguë de gouvernement. M. Thiers a subitement donné sa démission de président de la république à la suite d’un vote tout financier de l’assemblée refusant de sanctionner le principe de l’impôt sur les matières premières. Pendant vingt-quatre heures, la France s’est trouvée réduite à se demander où elle en était, quel lendemain, quel gouvernement lui réservait cette péripétie inattendue. L’Europe n’était peut-être pas moins attentive à ce qui allait se passer en France. Heureusement la crise a été courte, — courte et vive. L’assemblée s’est hâtée de panser la blessure de M. le président de la république en lui renouvelant les témoignages de sa confiance, en faisant appel à son patriotisme, en dégageant le vote de la veille de toute arrière-pensée d’hostilité politique. La démission du chef du pouvoir exécutif n’a point été acceptée, M. Thiers est resté, le ministère est resté, lui aussi, tout entier après avoir parlé un instant de se retirer, et tout a fini par une réconciliation universelle, tout est rentré dans l’ordre. Au premier aspect, rien n’est donc changé. Non, rien n’est changé, si ce n’est que sans le vouloir on a peut-être divulgué le secret d’une situation ; on a ravivé le sentiment de l’incertitude des choses en mettant à nu les fragilités, les anomalies d’un régime dont on évitait d’interroger de trop près la nature et les conditions, qui, à travers tout, représentait pour le pays une idée de libération et de réorganisation. On a risqué de livrer d’un seul coup et pour une dissidence secondaire tout le terrain qu’on avait patiemment reconquis, comme si on avait terminé sa tâche, comme s’il n’y avait pas le territoire à délivrer, les passions meurtrières à désarmer, la grandeur française à relever. En vérité, le 19 janvier ne nous est pas favorable : l’an dernier, c’était la bataille suprême de Paris expirant ; cette année, c’est une crise de gouvernement, et, quoique cette fois la victoire soit restée à la raison, au patriotisme éclairé ou promptement redressé par la réflexion, c’est une expérience qu’il ne faudrait pas recommencer.

Les crises de ce genre ont leur moralité ; ce qu’il y a de mieux à faire pour tout le monde, c’est de s’en souvenir et d’en profiter. Certes, à considérer les choses d’une certaine façon et si nous vivions dans des temps plus tranquilles, cet étrange incident qui vient d’émouvoir l’opinion offrirait un spectacle qui aurait son originalité et sa grandeur : c’est le spectacle d’un homme assurément dévoué à son pays, supérieur par l’esprit et par l’expérience, dévoré d’une immense passion d’activité, qui, en étant le chef du gouvernement, est son premier ministre, son ministre des finances, comme il sera un autre jour son ministre de la guerre ou son ministre du commerce, et naturellement cet homme, doué d’incomparables dons, porte avec lui partout où il intervient la vivacité de ses convictions, l’impétuosité de sa nature, les entraînemens