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LES LETTRES
DE
HERMANN ET DOROTHEE


HERMANN A DOROTHÉE.

Fontainebleau, 10 septembre 1870.

Nous touchons au terme de cette étonnante campagne, ma bien-aimée ; encore quelques efforts, encore quelques heures de marche, deux étapes au plus, et l’armée allemande aura investi Paris. De la crosse de nos fusils, nous heurterons aux portes de la grande Babylone.

J’avais raison, tu le vois, quand à l’heure de nos adieux, en baisant tes tresses blondes, je prophétisais la victoire ; j’avais raison de compter sur le génie de la Prusse, sur la sainteté de notre cause ; j’avais raison de croire que la France énervée et corrompue ne soutiendrait pas un instant le choc de nos armes. Est-elle assez vaincue, cette nation fanfaronne ? Est-il assez écrasé, ce peuple frivole, turbulent et sénile ? Le voilà livré à notre merci, à notre justice. Humilié, sanglant, il ne lui reste qu’à se soumettre, l’humanité, son intérêt même, le lui conseillent ; mais sur quel bon sens, sur quelle bonne foi compter en ce pays ? Le voilà qui, pour se consoler de sa chute inouïe, renverse l’empire et se donne la fête d’une nouvelle révolution ; on chante à Paris tandis qu’on agonise à Sedan. Comme un vieux débauché sans pudeur qui se paie une dernière orgie au moment d’être saisi par ses créanciers, Paris illumine, s’enivre pour oublier sans doute le châtiment. Nous, soldats de la civilisation et du devoir, nous marchons impassibles ; ministres de la justice, nous