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le reconnus aussitôt ; c’était le capitaine Maurice d’Etreval, celui-là même dont nous avions quelques jours plus tôt surpris le tendre rendez-vous. Il me sembla qu’à sa vue un rayon d’espérance tombait du ciel dans mon âme, et je repris courage lorsque je l’entendis déclarer d’un ton ferme que j’étais son prisonnier, que je serais jugé par une cour martiale, et qu’en attendant il répondait de moi sur sa tête. Malgré quelques murmures et de sourdes protestations, il fit avancer une voiture, s’y installa à mes côtés et donna l’ordre au cocher de nous conduire à la place. Un garde national désigné par la foule monta sur le siège près du cocher. Certes j’étais loin d’être sauvé. À ce moment même, je l’avoue, il me semblait impossible d’échapper à la mort ; j’éprouvai toutefois une sensation presque joyeuse quand je me trouvai assis dans cette voiture, et que l’allure rapide du cheval eut mis un intervalle entre le courroux populaire et moi. La mort qui m’attendait me semblait presque douce et consolante à côté de celle que j’avais entrevue.

Mon compagnon me laissa le temps de me remettre de mon trouble, et m’aida même à essuyer le sang qui m’aveuglait.

— Vous êtes Prussien ? me dit-il ensuite d’une voix brève.

— Je suis de Berlin, répondis-je sans hésiter, un sûr instinct me conseillant de gagner sa confiance par une habile sincérité.

— Vous êtes officier ?

— Soldat de la landwehr.

— Qu’êtes-vous venu faire à Paris ?

— Voir la ville, voilà tout.

— C’est peu vraisemblable ; personne ne saurait accepter une pareille excuse.

— Je ne veux pas vous tromper, capitaine, dis-je de l’air de la plus candide franchise ; un intérêt plus puissant que la curiosité m’attirait en effet. J’ai voulu revoir ici une personne que j’aime plus que la vie… J’ai risqué pour elle ma tête, je ne le regrette pas. — Vous avez aimé peut-être, capitaine ? Vous me comprendrez, vous comprendrez la folie d’un pauvre soldat dont le cœur s’exalte là-bas, dans ces bois où nuit et jour la mort plane et peut frapper à toute heure ; vous comprendrez ce désir insensé de revoir une dernière fois un visage adoré, d’échanger une fois encore un adieu !

Je ne sais comment il se fit qu’en prononçant ces mots ma voix trembla, et qu’une grosse larme roula lentement sur ma moustache. Les émotions de la soirée avaient ébranlé mes nerfs sans doute, et la conviction que je défendais ma vie ajoutait à mes paroles un chaleureux accent de persuasion.

— Si je pouvais vous croire ! dit le capitaine d’un air de regret. Donnez-moi quelque preuve ; cette femme, qui est-elle ? où demeure-t-elle ?