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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 97.djvu/837

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mongols. Sod-Nams-Dschamtso fut tellement satisfait de cette conquête que, pour la consolider, il déclara plus tard que sa prochaine incarnation aurait lieu dans le « pays des herbes, » événement qui s’accomplit lorsqu’on constata les signes de l’incarnation dans la personne d’un fils de la princesse Dara-Khatoun, femme d’un petit-fils d’Altan (1589). Lorsque le fils de Dara alla à L’hassa prendre possession du siège pontifical (1602), il laissa aux Mongols un vicaire, Sam-pa-Dschamtso (la mer des pensées). Celui-ci en fondant le patriarcat de Kouren fit descendre au second rang le patriarcat de Koukou-Khotoun. On va jusqu’à porter à 30,000 le nombre des moines de Kouren ; il y en a certainement au moins 10,000. Aujourd’hui la Mongolie est la fille aînée de l’église lamaïque, et « la terre des herbes » est devenue le paradis des lamas, qui forment le tiers de la population. Cependant leur position est encore fort brillante au Thibet ; on prétend que dans les trois provinces il y a environ 3,000 couvens. Les plus célèbres sont ceux de L’hassa (le pays de Dieu), la Rome thibétaine, où, dit un proverbe chinois, on ne voit que prêtres, chiens et femmes barbouillées de fard ; c’est ce fard noir qu’on a inventé pour aider les lamas à respecter leur vœu de chasteté. Le couvent de La-brang, le plus ancien du Thibet, où à la fin de février le talé-lama, placé sur une estrade, bénit la ville et l’univers, est le siège du gouvernement. Le couvent de Lhoun-po, dans la province de Tzang, est la résidence du patriarche du Thibet inférieur, le pan-tschen-lama (vénérable grand et précieux docteur), qui occupe maintenant dans l’église lamaïque la même position subordonnée que saint Paul dans la tradition romaine. Les femmes ne sont pas exclues de cette puissante hiérarchie. Dans une île du lac Yang-thso, habite la Dotsche-phagmo (truie diamant), incarnation d’une bôdhisativa femelle, qui ne sort de son île que pour aller recevoir à L’hassa les adorations réservées à cette papesse Jeanne. Son nom bizarre vient de ce qu’au XVIIe siècle, effrayée des troubles de L’hassa, elle s’enfuit dans son île sous la forme modeste d’une truie.

Malgré cet immense développement du monachisme parmi les deux sexes, le Thibet, déjà inférieur pour le nombre des couvens, ne passe pas pour être à la hauteur de la ferveur des Mongols. Aussi les héritiers des kha-khans, qui ont fait trembler le monde, n’inspirent plus que dédain, et les timides Chinois ont eux-mêmes cessé de les redouter. Ne pouvant plus compter sur leur bravoure, le talé-lama a dû se résigner à la dureté d’un siècle hétérodoxe. Dans son couvent de Mar-po-ri[1], bâti sur le mont Potala, au

  1. Il ne renferme pas moins de 10,000 cellules et il est au centre de deux vastes monastères, construits sur deux autres éminences de la montagne.