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traces d’yeux, qui jouissent de la même propriété de venir à la lumière ; mais, le vase étant maintenu dans l’obscurité, tandis que les daphnies errent dispersées dans toute l’eau, on fait tomber sur la fente un rayon coloré, un rayon vert. Aussitôt elles s’agitent, elles se groupent toutes dans la direction de la traînée lumineuse, elles montent et descendent sans relâche, et se heurtent contre la paroi qui reçoit la lumière ; si on interpose un écran, elles se dispersent. Or on obtient le même résultat pour toutes les régions du spectre ; le rouge, le jaune, le bleu, l’orangé et le violet, attirent les daphnies comme le vert. Elles sont donc influencées par tous les rayons qui provoquent en nous les perceptions chromatiques. Pour savoir si elles le sont au même degré par les différentes couleurs, l’expérience est disposée autrement. On fait tomber le spectre tout entier sur une cuve à glaces parallèles de manière à laisser les deux bords dans l’ombre. Les daphnies ne tardent pas à se grouper, et l’immense majorité se place dans l’orangé, le jaune, le vert : c’est dans cette zone une agitation, un grouillement extraordinaires ; un assez grand nombre se voient encore dans le rouge, et à l’autre extrémité dans le bleu et le violet ; au-delà du spectre, on n’en trouve que d’isolées en promenade accidentelle. Cette jolie expérience ne prouve cependant pas que les daphnies voient des couleurs. En effet, il est facile de s’assurer que les diverses régions du spectre ne se distinguent pas seulement par ce que nous appelons en propres termes la couleur, la nuance rouge ou bleue, jaune ou verte, mais qu’elles diffèrent aussi par le pouvoir éclairant. Il y a dans le spectre un espace beaucoup plus lumineux que les autres, c’est le jaune, surtout du côté du vert. Quelqu’un, dans une chambre illuminée par un spectre solaire, se mettrait dans le jaune pour lire, tandis qu’il y verrait à peine dans le violet. Peut-être les daphnies ne cherchent-elles le jaune que parce que la lumière y est plus vive. Il est possible que tous les rayons, colorés pour nous, n’influencent les articulés que comme le feraient des clartés plus ou moins vives, et qu’ils voient le monde en camaïeu, tel qu’il nous apparaît à travers certains verres de couleur.

Revenant à notre point de départ, cherchons si la couleur des carnivores qui se nourrissent d’insectes ne pourra pas nous éclairer sur des perceptions chromatiques des articulés. Voici d’abord un terrible destructeur d’insectes, insecte lui-même, le calosome sycophante ; c’est un gros carabe qu’on trouve aux environs de Paris : celui-là tue pour tuer, il fait tout l’été un carnage de chenilles qu’il laisse sur la place sans les manger. Ce terrible chasseur est peut-être le plus brillant de sa tribu ; il est d’un beau vert métallique avec des reflets ardens qui devraient dénoncer de loin sa présence à ceux qu’il poursuit. De même pour les oiseaux