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Dicéogène, que tu as recueilli l’héritage, et tu l’as ruinée, tu l’as déshonorée ; tu en as échangé les biens contre de l’argent, et tu viens maintenant crier misère ! Cet argent, comment donc l’as-tu gaspillé ? Car on sait que tu n’en as rien dépensé ni pour la cité ni pour tes amis… Quel prétexte enfin invoqueras-tu, Dicéogène, pour demander aux juges de se prononcer en ta faveur ? Diras-tu que tu t’es acquitté de beaucoup de services publics et que tu as sacrifié de grandes richesses pour augmenter la gloire et l’éclat de la cité ? Ou bien que, triérarque, tu as fait beaucoup de mal à l’ennemi, et que, quand la patrie avait besoin que tous les riches l’aidassent de leurs deniers à soutenir la guerre, tu as largement contribué à ses dépenses ? Non, tu n’en as rien fait. Diras-tu que tu es un brave soldat ? Mais tu n’as point porté les armes. Dans cette longue et cruelle guerre où les Olynthiens, où les insulaires meurent en combattant pour Athènes, toi, Dicéogène, qui es citoyen, tu n’as pas même porté les armes. Peut-être prétendras-tu que tu dois l’emporter sur moi à cause de tes ancêtres, parce qu’ils ont tué le tyran. Je les en loue et les admire ; mais je soutiens que toi, tu n’as point à te prévaloir de leur vertu. D’abord tu as mieux aimé t’approprier notre héritage qu’hériter de leur gloire, tu as tenu à être appelé fils de Dicéogène plutôt que fils d’Harmodios. La nourriture au prytanée, tu l’as dédaignée ; ce siège au premier rang dans les théâtres et ces exemptions d’impôt qui ont été accordées aux descendans du meurtrier d’Hipparque, tu en as fait bon marché. Puis cet Harmodios et cet Aristogiton, ce n’est pas à cause de leur naissance qu’ils ont été honorés, c’est pour leur courage et leur dévoûment, et ces mérites, rien ne s’en retrouve chez toi, ô Dicéogène ! »


Sans doute l’œuvre d’Isée, telle que le temps l’a faite, est loin d’avoir la variété de celle de Lysias ; tous les discours d’Isée roulent sur des sujets analogues, et par suite nous sommes exposés à y trouver des redites et quelque uniformité. Eussions-nous conservé le recueil complet de ses discours, Lysias aurait encore sur lui un avantage, celui d’avoir été mêlé à toutes les luttes, ému de toutes les passions de son temps. Chez lui, derrière l’orateur, on sent l’homme qui a de justes ressentimens à satisfaire, un frère et des amis à venger. On peut enfin, avec les anciens critiques, trouver que Lysias a plus d’imagination et de charme, un tour plus aisé et plus naturel, une grâce plus familière ; peut-être en effet réussit-il encore mieux à prendre le ton qui convient à chacun des personnages qu’il fait parler, peut-être ses tableaux sont-ils plus vivans encore et tracés d’un plus ferme crayon. A d’autres égards, Isée est pourtant, on ne saurait le nier, en progrès sur Lysias. Son style a plus de mouvement et de chaleur ; la passion s’y donne plus libre carrière et le colore de teintes plus vives. Lysias, poursuivant en son propre nom l’homme qui a voulu le faire périr, qui l’a ruiné et