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cadastre. M. Mill ne l’entend pas ainsi ; à ses yeux, il faut transformer l’institution ; dût-elle en périr, ce ne serait pas payer trop cher l’application d’une loi économique. Comme on ne doit pas séparer un principe de ses conséquences, on s’aperçoit sans peine que celui-ci en a de fort lointaines. Pour nous, à qui il importe de regarder en face certaines doctrines, c’est une bonne fortune qu’elles empruntent le langage de la science ; au moins sur ce terrain la discussion est possible. Quand elles soulèvent des passions et des convoitises, quand il faut opposer la force à l’impatience des appétits déchaînés, nous savons par expérience que la lutte est humiliante et la victoire même amère.


I

Sans avoir approfondi la théorie de la rente, on conçoit que la propriété du sol soit un monopole dans les pays civilisés. Les hommes se multiplient, les capitaux abondent, la terre doit nourrir cette population croissante et pourvoir aux besoins nouveaux ; mais, si les habitans d’un territoire deviennent plus nombreux et plus exigeans, le sol qui les nourrit est borné, les efforts de l’exploitation ne sauraient franchir certaines limites. Par suite, les maîtres de la terre, libres de toute concurrence, deviennent aussi les maîtres du marché. Cependant les propriétaires du sol ne s’entendent pas entre eux : ils ne forment point une coalition pour accaparer les vivres comme autrefois les traitans, ils ne spéculent pas sur la fatalité de nos besoins. Ce sont ces besoins mêmes, sans cesse renouvelés, qui ont fait monter la valeur des terres les plus fertiles en réclamant le produit des plus pauvres. Comme il y avait assez de bouches pour tout consommer et assez d’argent pour tout payer, on a cultivé à grands frais les terres moins riches ; le produit plus cher s’est bien vendu ; les propriétaires mieux partagés, qui produisaient plus en dépensant moins, ont profité de la hausse des prix ; A quoi bon attirer les acheteurs par le bon marché, puisqu’ils étaient sûrs de vendre tout leur blé, et qu’il était impossible d’en tirer davantage d’un sol déjà fécond sans s’exposer à perdre l’intérêt des capitaux enfouis ? Ils ont accepté cette manne qui leur tombait du ciel, et pris possession sans effort d’un monopole naturel et légal. Ils ont pu dès lors confier à des mains étrangères le soin d’ensemencer leurs terres, de récolter les moissons et de les vendre, et ils ont encore touché un revenu sous le nom de rente territoriale ou de fermage. En Angleterre, le fermage est la règle et la petite propriété l’exception.

Ainsi au premier abord la possession paisible du sol a l’aspect d’un monopole ; la concurrence est limitée par la nature de