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révolutions qui agitent la France depuis près d’un siècle ? On a tout à coup sous les yeux un spectacle singulier, — tout simplement un phénomène de violence et de stérilité, un mouvement qui est sans doute l’expression d’un grand désordre, et qui n’est rien de plus, qui, au lieu d’être un développement, même exagéré, de la révolution française, est au contraire la négation la plus caractérisée de cette révolution dans quelques-uns de ses principes les plus féconds, dans quelques-unes de ses idées les plus essentielles. C’est pour cela que l’insurrection du 18 mars, avec des moyens de succès qu’une insurrection ne retrouvera peut-être jamais, a passé comme une perturbation désastreuse et impuissante. Elle a échoué et elle devait échouer, parce qu’elle était un attentat à l’honneur de la révolution française, âme de la société moderne, et à la patrie.

C’est l’éclatante vérité qui se dégage de cette lutte à peine refroidie. Quand la révolution française est apparue dans le monde, elle est venue, non pour abolir les vérités morales qui sont la plus noble et la plus pure essence de la civilisation, mais pour élever tous les hommes à l’intelligence de ces vérités souveraines ; elle est venue surtout, non pour perpétuer sous d’autres formes et dans d’autres conditions les haines et les divisions de classes, mais pour fonder l’unité sociale par l’égalité des droits, par la substitution du mérite personnel aux privilèges de naissance où de caste. C’est là son œuvre, c’est son idéal et sa tradition. Quel est au contraire l’objet avoué de ces étranges novateurs du 18 mars ? Ils l’ont dit, ils l’ont répété dans tous ces programmes de l’Internationale qui sont devenus les programmes de la commune : sous l’apparence d’une démocratie étroite, tyrannique et abjecte, leur rêve est je ne sais quelle aristocratie des passions envieuses et des intérêts faméliques, je ne sais quel rétablissement des castes en sens inverse, par la prédominance de l’ouvrier, du prolétaire sur les classes qui vivent du travail intelligent, de l’héritage légitime ou de l’esprit. Ils n’ont plus même le sens des traditions fécondes de cette révolution dont ils parlent sans cesse, pas plus qu’ils n’ont gardé le sens national, l’idée de la patrie qui disparaît dans leur utopie de cosmopolitisme démagogique. M. Ducarre raconte qu’un soir de novembre 1870 une prétendue délégation populaire se présentait à la municipalité lyonnaise, dont il faisait partie. L’orateur de la délégation a de tels accens et par le un tel langage qu’on finit par lui demander de quel pays il est. Il répond, en croisant fièrement les bras, qu’il est citoyen américain. On lui fait alors observer qu’il n’a qu’à s’occuper de son pays et à laisser des Français s’occuper de leurs propres affaires. Pas du tout, l’orateur de la délégation s’obstine, il est délégué du peuple ! — Le peuple, remarque-t-on, n’a pas le droit de déléguer un étranger. — « Malheureusement, poursuit