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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 99.djvu/109

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foison, n’a élevé de monument qu’à un seul de ses enfans, au plus illustre, il est vrai, à celui en qui résida pendant près d’un siècle la légitime autorité du christianisme, qui fut le véritable vicaire de Dieu sur la terre et qui fit de la Bourgogne un centre si puissant de religion, saint Bernard[1]. Pour celui-là, l’hésitation en effet n’était pas possible, tant le caractère de son illustration était unique. Personne plus que nous n’approuve cette parcimonie de statues, et cependant on verrait sans déplaisir les effigies de Crébillon et de Rameau sous le péristyle du théâtre, et l’image de ce président Jeannin, qui fut un si utile auxiliaire d’Henri IV, ne paraîtrait pas déplacée en face du superbe hôtel de ville élevé par la monarchie des Bourbons avec et sur les débris du palais des ducs de la maison de Valois.

Ce n’est pas à dire que les Dijonnais soient indifférent à la mémoire de leurs grands hommes, parce qu’ils ont eu le bon goût de ne pas gâter leurs places et leurs promenades d’ennuyeuses statues. Dans ces dernières années, ils ont fait deux choses fort intéressantes pour la conservation des souvenirs historiques. La première, d’exécution facile, et que chaque ville considérable devrait bien imiter, consiste en des plaques de marbre noir gravées d’inscriptions et apposées sur toutes les maisons où ont vécu des hommes célèbres[2]. Grâce à cette innovation peu coûteuse, le promeneur étranger à la ville rencontre avec facilité une instruction qu’il n’aurait trouvée qu’avec beaucoup de peine, s’il lui avait fallu la poursuivre lui-même, ou qu’il n’aurait même pas songé à se procurer. Nous revoyons les demeures où ont vécu le président Jeannin et le président Bouhier, où le spirituel Charles de Brosses, avant et après son voyage d’Italie, élabora son éternel Salluste, où Bernard La Monnoie écrivit ses noëls en patois bourguignon, ou Crébillon médita ses violentes tragédies, où Alexis Piron cuva ses ivresses ou se répandit en saillies amusantes, et, souvenir plus glorieux que tous les autres, où Bossuet poussa le premier vagissement de cette voix qui devait remplir tout un siècle et s’identifier pour jamais avec celle de l’éloquence française même. C’est à l’édilité

  1. Cette statue, œuvre de M. Jouffroy, qui, par le choix des figures dont il l’a accompagnée, a résumé heureusement tout le XIIe siècle français, a eu d’assez singulières aventures. Elle était à peine érigée lorsque arriva la révolution de 1848, et alors on fut obligé de la transporter à l’église de Saint-Bénigne, parce que, nous dit le Guide de M. Joanne, « un certain nombre d’imbéciles menaçait de la détruire. » Quelques années plus tard, cette animosité de nature bizarre ayant paru calmée, on reporta la statue à sa place primitive. Il est assez curieux que la mémoire de saint Bernard ait eu à souffrir des conséquences de la chute de Louis-Philippe, roi, constitutionnel et qui passa pour voltairien.
  2. L’exemple de Dijon, a été suivi par Melun pour la maison d’Amyot et par Chaumont pour la maison de l’amiral Decrès.