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un bouleversement qui a établi, sans répandre de sang, la république à la place de la régence, » que cette république « n’est pas d’ailleurs partout reconnue en France, » que « les puissances monarchiques ne l’ont pas reconnue non plus, » que sa majesté le roi est arrivé devant Paris sans rencontrer de forces militaires françaises. Ce qui est plus étrange encore, c’est qu’à un moment donné le maréchal Bazaine, selon son propre aveu, se laisse aller à recevoir un personnage subalterne et mystérieux venu on ne sait d’où, remplissant on ne sait quelle mission, — qu’il engage avec ce personnage, dépêché par M. de Bismarck, une espèce de pourparler, et qu’au bout du compte il finit par faire ce qu’on lui demande en donnant congé à un général pour se rendre auprès de l’impératrice en Angleterre. Le maréchal prétend qu’il croyait avoir ainsi des nouvelles sûres par le retour du général : c’était assez naïf pour un homme d’expérience. Il était dur sans doute de sentir, au-delà des lignes de blocus, son pays dévasté par l’étranger, ébranlé par une révolution, et de se dévorer dans son impuissance : c’était alors le cas ou jamais de se rattacher simplement, sans arrière-pensée, avec un désespoir héroïque, à son rôle de chef militaire. On ne l’a pas fait assez complètement, c’est là le malheur.

Il est bien clair après cela qu’à une certaine heure, dans l’esprit du commandant de l’armée du Rhin, la politique est entrée en partage avec le sentiment du devoir militaire. Le maréchal s’est dit, et il l’écrit, que la question militaire était jugée, qu’il n’y avait plus que le péril social créé par la révolution, et que dans de telles circonstances son armée pouvait peser d’un poids immense ; « elle rétablirait l’ordre et protégerait la société, dont les intérêts sont communs avec ceux de l’Europe. Elle donnerait à la Prusse, par l’effet de cette action, une partie des gages qu’elle pourrait avoir à réclamer dans le présent, et enfin elle contribuerait à l’avènement d’un pouvoir régulier et légal. » M. de Bismarck a évidemment connu ou soupçonné ces perplexités morales du chef des forces françaises, et il n’a rien négligé pour les entretenir et pour s’en servir. Il paraît bien avoir caressé jusqu’au bout, ou il a feint d’admettre cette idée, qu’il y avait peut-être quelque chose à faire avec une régence reconstituée et appuyée par l’armée de Metz ; le fait est qu’au dernier moment, lorsque le maréchal envoyait le général Boyer à Versailles, la première condition qu’on mettait en avant pour rendre à l’armée de Metz sa liberté, c’était que cette armée se déclarerait fidèle à l’empire, « décidée à soutenir le gouvernement de la régence, » et que cette déclaration coïnciderait avec un manifeste adressé par l’impératrice régente au peuple français. Il faut ajouter que les chefs militaires ont toujours manifesté la plus grande répugnance à se laisser engager dans cette voie, qu’ils ont décliné pour l’armée toute intervention d’une couleur politique. Que des négociations dans ce sens aient été malgré