Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 99.djvu/273

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

allures, le langage, l’accent. Le roi y est appelé du nom de maître, dominus, ce qui est bien surprenant dans des codes rédigés pour les seuls Germains. Tout ce qui approche du roi est privilégié. Le « convive du roi » a une valeur triple de celle du simple homme libre. L’esclave qui appartient au roi vaut aussi trois fois plus que l’esclave ordinaire. Il n’est pas jusqu’aux chevaux et aux bœufs du roi dont le vol ne soit puni plus sévèrement que s’il s’agissait des chevaux ou des bœufs d’un sujet. Il y a dans le code des Francs-Ripuaires des articles qui sont d’une portée étrangement monarchique. « Si quelqu’un refuse d’héberger un envoyé du roi, qu’il paie une amende de 60 sous d’or. » — « Si quelqu’un est infidèle au roi, qu’il compose de sa vie et que tous ses biens soient confisqués. » On voit bien que le souvenir de l’ancienne Germanie et l’amour de la liberté politique étaient également absens de l’âme de ces hommes.

Les Germains avaient tellement oublié les institutions politiques d’outre-Rhin que tous leurs chefs, francs ou wisigoths, ostrogoths ou burgondes, adoptèrent les usages des empereurs, leurs insignes, et leur phraséologie pompeuse. Ils revêtirent le costume romain ; ils se montrèrent avec la robe longue, sceptre à la main, couronne en tête. C’est ainsi que les rois mérovingiens sont représentés sur leurs monnaies. Rien de tout cela ne venait de la Germanie. Les chroniqueurs ne nous disent pourtant pas que les Francs aient protesté contre ces usages si nouveaux pour eux. Leurs rois s’entourèrent d’un cortège de chambellans, de comtes du palais, de patrices, de référendaires, de chanceliers, personnages dont les titres mêmes avaient été inconnus dans l’antique Germanie. Rien n’indique que les Francs se soient plaints de la création de ces dignités nouvelles ; ils les briguèrent à l’envi. Les rois établirent un système d’administration copié sur le système impérial. On a quelquefois comparé les comtes mérovingiens aux grafen de l’ancienne Germanie. Il y avait au moins cette différence, que les uns étaient nommés par les rois, tandis que les autres avaient été élus par la population. En réalité, ces comtes mérovingiens, mi-partie Francs et mi-partie Gaulois, étaient les successeurs des comtes que l’empire avait établis dans chaque cité au Ve siècle.

Les Germains réfugiés en Gaule ne possèdent plus rien qui ressemble à ce qui existait en Germanie. Ils n’ont pas pensé à établir dans leur nouvelle patrie les institutions de l’ancienne. Le regret de la vieille liberté de la tribu ne paraît nulle part. L’histoire nous montrera bien une lutte toujours renaissante entre les leudes et les rois ; mais ce que ces leudes réclament n’est pas la liberté, c’est la terre. Les théories politiques sont absolument étrangères au conflit. Le débat ne porte que sur des intérêts matériels. On ne comprendrait pas comment ces troupes de soldats avides auraient infiltré