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Epreuves, notre capitale rester encore le centre du monde pour les arts industriels. On ne peut douter que ces mille métiers élégans qui sont si actifs et si prospères dans nos murs ne fassent une large part au travail des femmes, et qu’ils ne le rémunèrent avec libéralité. Chose étrange cependant mais certaine, la main-d’œuvre des femmes à Paris a diminué depuis quelques années en quantité et n’a guère augmenté de valeur. Nous avons sur l’industrie parisienne, outre un grand nombre d’informations morcelées, deux enquêtes générales et complètes : elles ne sont malheureusement pas très récentes, puisque l’une date de 1851 et l’autre de 1864 ; toutes deux sont l’œuvre de la chambre de commerce. La comparaison de ces deux enquêtes est instructive. D’après l’enquête publiée en 1851 et réellement faite en 1847, il y avait alors à Paris environ 318,000 ouvriers ; la seconde enquête, publiée en 1864, et dont les opérations eurent lieu en 1860, recensait 416,811 ouvriers hommes, femmes et enfans. C’est un accroissement d’un tiers ; augmentation notable, mais normale, si l’on tient compte de l’extension de la ville au-delà des anciennes barrières et du développement de la population. Cependant, si l’on décompose ce chiffre total, on ne peut échapper à un douloureux étonnement : le nombre des ouvriers hommes, qui n’était que de 204,925 en 1847, s’élève en 1860 à 304,920 ; il a donc augmenté de 50 pour 100. Au contraire le chiffre des ouvrières a diminué, car, de 112,891, il est descendu à 114,891 (y compris les jeunes filles de moins de seize ans). Ainsi le territoire de la ville a été plus que doublé, sa population a augmenté d’un tiers, l’effectif total du personnel ouvrier a haussé dans la même proportion, et néanmoins le nombre des ouvrières non-seulement ne s’est pas élevé, mais a même légèrement baissé.

Quelle est la cause de ce phénomène étrange ? On pourrait supposer que cette diminution du nombre des ouvrières recensées vient d’un progrès de l’aisance dans les classes populaires, qu’elle est une conséquence naturelle de l’accroissement des salaires des hommes, lequel permettrait au mari d’élever et de nourrir sa famille sans contraindre la femme à un travail salarié. Il y aurait encore une autre interprétation favorable, c’est que le nombre des ouvrières travaillant chez elles et sans intermédiaire pour des personnes du monde aurait augmenté : existences ignorées qui ne sont comprises dans aucun cadre officiel et qui s’écoulent silencieusement à L’ombre du foyer domestique. Ces deux explications ne peuvent être exactes, que dans une très faible mesure. Il est une autre raison, profondément douloureuse, qui se trouve établie par les faits les plus incontestés : non-seulement les industries qui emploient les femmes ont moins d’élasticité et se prêtent moins au développement que les industries qui occupent les hommes, mais