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formant à leur exemple, en face de la nature italienne, qu’il a retrouvé et continué, à deux cents ans d’intervalle, la tradition qu’ils avaient fondée. Malgré le profit qu’il a pu tirer de ses études dans les divers musées de l’Europe, ou de ses voyages successifs en Suisse et en Espagne, en Sicile et en Grèce, en Turquie et en Égypte, le meilleur et le plu sûr de ses convictions lui est venu de son séjour aux lieux mêmes qu’avaient contemplés Poussin et Le Guaspre. La vraie patrie de son talent est cette campagne de Rome qui lui dévoilait les secrets de la majesté pittoresque, comme elle les avait révélés jadis aux chefs de notre école, et dont les belles lignes ont été si souvent reproduites par M. Bertin avec une sincérité de plus en plus émue, avec une piété croissante, depuis l’époque où il les étudiait pour la première fois en 1822, à côté de Léopold Robert, jusqu’aux années où il les revoyait tour à tour en compagnie de son ami Paul Delaroche, d’un autre de ses plus chers amis, M. Amaury Duval, ou de la femme dévouée qui, après avoir si tendrement surveillé sa vie, garde aujourd’hui le respect passionné de sa mémoire.

Faut-il maintenant essayer de décrire un à un tous les dessins exposés à l’École des Beaux-Arts ? Autant vaudrait entreprendre l’analyse d’un livre en s’arrêtant aux détails que contient chaque page. Nous en avons assez dit pour faire pressentir les caractères généraux du talent de M. Bertin et l’unité de ses efforts, la constance de ses prédilections, quelque variés d’ailleurs que soient les tâches ou les modèles. Qu’il nous suffise de mentionner en passant et de recommander à l’attention, entre autres spécimens significatifs de cette large et robuste manière, les études faites à Ronciglione, à L’Aricia, à Tivoli, ou aux portes de Rome même, dans le lieu dit Fontaine de la nymphe Égérie, et dans les jardins de la villa Pamfili, — les Vues de l’île de Philœ, sur le Nil, et des Environs de Thèbes, — les Latomies de Syracuse, les Ruines du temple d’Egine, et, parmi les sujets d’invention, les saintes Femmes au tombeau, Saint Benoît et ses disciples allant fonder le monastère de Subiaco, — enfin et surtout le paysage portant le n° 39 et inscrit au livret sous ce titre Souvenir de Grèce, composition pleine de grandeur, exécutée avec une aisance admirable, et, plus qu’aucune autre signée du même nom, digne d’avoisiner un jour dans quelque musée ces beaux monumens du vieil art français dont tout à l’heure nous évoquions le souvenir.

L’exposition des œuvres de M. Bertin est, pour les artistes comme pour le public, un enseignement et un exemple. N’eût-elle d’autre résultat que de faire ressortir par le contraste l’inanité ou l’insuffisance de la pure dextérité, des ruses ou des coquetteries de la touche, des petites habiletés du métier, il y aurait là déjà un service rendu ou tout au moins un avis opportunément offert à bon nombre d’entre nous ; mais la leçon peut porter plus haut et plus loin. Ces œuvres si ouvertement