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Le lendemain, l’Autriche était abattue et la coalition brisée. La nouvelle d’Austerlitz éclata à Berlin comme un coup de tonnerre. La Prusse se sentit vaincue sans avoir livré bataille. On vit le cabinet en désarroi, la cour divisée, le monarque indécis, le peuple inquiet, stupéfait, irrité, l’incertitude partout, partout la conscience confuse d’une défaite morale pour le pays, d’un grand danger pour l’avenir, d’une impéritie inqualifiable ou de calculs équivoques de la part du gouvernement. Napoléon négociait à Brünn avec l’Autriche, il n’y admit pas M. de Haugwitz ; il ne le reçut que le 13 décembre à Schönbrunn dans le cabinet de Marie-Thérèse. Le diplomate prussien était venu en médiateur, apportant des conditions, il devait en subir. Napoléon, après une de ces scènes de colère et d’intimidation dans lesquelles il excellait, se radoucit peu à peu, et revint à ses propositions d’autrefois, une alliance payée par le Hanovre. Haugwitz argumenta quelques instans, puis consentit. « Eh bien ! dit Napoléon, c’est chose décidée, vous aurez le Hanovre. Vous m’abandonnerez en retour quelques parcelles de territoire dont j’ai besoin, et vous signerez avec la France un traité d’alliance offensive et défensive ; mais, arrivé à Berlin, vous imposerez silence aux coteries, vous les traiterez avec le mépris qu’elles méritent, vous ferez dominer la politique du ministère sur celle de la cour. » Il est à croire qu’il laissa entrevoir derrière cette alliance des perspectives aussi vagues que séduisantes, que ce brouillard lumineux éblouit les yeux de Haugwitz, que l’empereur enfin eut recours avec cet homme d’état à quelques-unes de ces séductions habiles, de ces flatteries d’autant plus décevantes qu’elles partaient de plus haut. Le fait est que le négociateur prussien signa le traité le 14 décembre, et partit pour Berlin, convaincu qu’il avait gagné l’empereur, dominé la situation et ménagé l’avenir.

Il s’agissait d’imposer silence non pas seulement à une coterie, mais à une armée, à toute une nation passionnée, orgueilleuse, avide de gloire, qui se croyait la première puissance militaire de l’Europe, pour laquelle tout succès d’une puissance rivale était une blessure d’amour-propre, qui trouvait enfin que depuis Rosbach la France avait tiré en Europe trop de coups de canon sans sa permission. Appelons les choses par leur nom : ce qu’on demandait au roi de Prusse, c’était un blanc-seing pour la diplomatie napoléonienne, c’était une violation de l’amitié jurée un mois auparavant sur le tombeau de Frédéric. Le Hanovre sans doute était un beau présent ; mais, déduction faite des cessions exigées par Napoléon en Franconie et sur le Rhin, le présent se réduisait à 500,000 âmes. C’était un prix médiocre pour l’honneur d’une monarchie ; puis il faudrait peut-être faire la guerre aux Anglais. Les Allemands