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conditions moins dures, si nous commencions par nous rendre à merci. Enfin lord Granville nous donnait le conseil charitable de renoncer à tout essai d’armistice pour traiter directement d’une paix définitive[1], et M. de Bismarck, complétant la pensée du cabinet anglais dans une circulaire restée fameuse, écrivait à la même date, ces mémorables paroles : « c’est une inhumanité de la part des neutres envers la nation française, s’ils permettent que le gouvernement parisien entretienne le peuple dans des espérances irréalisables d’intervention et prolonge ainsi la lutte. »

Ces sophismes audacieux, qui cachaient mal une pensée trop claire, et que nous retrouvâmes par la suite dans la bouche de toutes les puissances neutres, devenues l’écho de la politique anglaise, ne découragèrent pas encore le patriotisme de notre négociateur. Après avoir refusé son concours militaire, son concours diplomatique, et jusqu’à son patronage moral dans les pourparlers qui allaient s’ouvrir, le cabinet de Londres ne pouvait-il au moins donner au gouvernement de la défense nationale un gage de ses sympathies en le reconnaissant ? L’Angleterre, notre plus intime alliée, ne pouvait pas être la dernière à nouer des relations officielles avec un gouvernement né des besoins de la défense et obéi de la France entière. On pouvait ajouter qu’une telle démarche n’avait rien qui dût alarmer la prudence britannique, puisque d’autres nations, en avaient donné l’exemple, et que l’Italie elle-même, quoique engagée dans la ligue des neutres, n’avait pas hésité, dès le premier jour, à reconnaître le gouvernement nouveau. En faisant la même chose, l’Angleterre pouvait, sans courir aucun danger, rendre un service sérieux à la France, car la reconnaissance de notre gouvernement privait nos ennemis du prétexte dont ils se servaient tous les jours, soit pour violer à nos dépens les lois de la guerre, soit pour refuser de traiter avec nous ; mais c’était encore trop pour lord Granville. Il répondit « qu’il serait contraire aux précédens d’en agir ainsi… » Le gouvernement n’avait pas encore de sanction légale ; il ne s’intitulait lui-même gouvernement que pour un objet spécial. Il avait annoncé la convocation d’une assemblée constituante. « Jusque-là, de bonnes relations suffiraient, en ce temps de crise, pour tout ce qui était de la pratique des affaires. »

Cette fois la mesure était comble. Il était malséant de reprocher au gouvernement français de manquer de sanction légale, quand on lui refusait tout appui dans une demande d’armistice qui avait justement pour but de rendre cette sanction plus facile. On ne

  1. 16 septembre 1870.