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résoudre les questions soulevées par le cabinet russe. Pour son compte, — M. Odo Russell l’avouait avec un soupir, — le chancelier n’était malheureusement pas contraire (was not indisposed) à une révision du traité dans un sens favorable aux vœux de la Russie ; toutefois il poussait la condescendance jusqu’à tolérer l’admission d’un diplomate français à la conférence, et il ne s’opposerait pas à ce que l’Angleterre invitât la principale puissance signataire du traité de Paris à délibérer avec l’Europe sur la révision de ce traité.

Le cabinet de Londres était au comble de ses vœux : il avait trouvé un moyen de céder sans en avoir l’air. Le prince Gortchakof lui facilita cette évolution en protestant de son amour pour la paix et de son respect pour le traité de Paris, qu’il n’avait pas eu la prétention d’infirmer dans son ensemble en réclamant contre une seule de ses dispositions. Loin de repousser l’expédient de la conférence, il se disait « prêt à s’entendre avec les puissances signataires, soit pour confirmer les stipulations du traité, soit pour les renouveler, soit pour y substituer tout autre arrangement équitable qui serait jugé propre à assurer le repos de l’Orient et l’équilibre européen. » Tout fut arrangé en quelques jours. M. de Bismarck, qui était le deus ex machina de cette comédie, avait d’abord proposé Saint-Pétersbourg comme lieu de réunion de la conférence ; sur les représentations du cabinet anglais, il poussa la courtoisie jusqu’à désigner Londres. Il communiqua lui-même cette décision aux puissances, et leva toutes les difficultés qu’elle pouvait rencontrer à la cour de Russie. L’Angleterre, chargée seulement d’inviter la France, semblait enchantée de tant de bonne grâce. Elle ne voulait pas voir qu’elle se mettait dans les mains de la Prusse, et qu’à Londres, comme à Berlin ou à Pétersbourg, malgré la présidence nominale du plénipotentiaire anglais, M. de Bismarck serait l’arbitre de la conférence et le véritable maître de la maison.

La diplomatie française, on le devine aisément, avait vu ces complications sans terreur comme sans surprise. Elle y trouvait une occasion unique de reprendre dans le monde européen le rang et l’importance qu’on lui contestait depuis le 4 septembre, ou même de provoquer en sa faveur le concert des puissances neutres. La dénonciation du traité de Paris était entre ses mains une arme dont elle pouvait se servir au mieux de ses intérêts, soit contre l’Angleterre, soit contre la Russie, suivant que l’une ou l’autre consentirait à la soutenir. C’était comme une sommation faite à l’Angleterre d’avoir à sortir de sa désespérante neutralité ou à s’incliner devant l’ambition russe. Pour la première fois depuis la guerre, nous nous trouvions recherchés en même temps par deux grandes puissances intéressées l’une et l’autre à nous sauver. Aussi notre diplomatie se