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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 99.djvu/517

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conçue en termes si mous que l’Autriche crut devoir les repousser à son tour.

Lord Granville ne proposa pas moins de trois rédactions nouvelles, qui furent tour à tour acceptées, repoussées, reprises, amendées, puis adoptées par toutes les puissances. Ce fut, comme l’écrivit un diplomate étranger, un vrai travail de Pénélope. La Russie fit quelques difficultés ; M. de Bismarck s’entremit avec un zèle bruyant, mais sans grande hâte d’aboutir à une solution. Enfin il fut convenu « qu’aucune puissance ne pouvait se délier des engagemens d’un traité ou en modifier les stipulations qu’à la suite de l’assentiment des parties contractantes, au moyen d’une entente amicale, » et cette déclaration fut signée le 17 janvier, à l’ouverture de la conférence, par les représentans de toutes les puissances présentes.

C’était beaucoup que de sauver le principe ; pourtant cela ne suffisait pas, si l’on n’était en mesure de le faire respecter par des actes. Or dès les premières séances de la conférence il fut trop visible que les puissances ne jouissaient pas entièrement de cette pleine liberté d’examen dont elles s’étaient montrées si jalouses, et qu’elles subissaient, sans vouloir l’avouer, la pression de la Russie et de l’Allemagne. Elles se montrèrent d’autant plus complaisantes sur le fait qu’elles avaient voulu paraître plus rigoureuses sur le droit, et elles laissèrent la Russie se dégager presque sans résistance des obligations qu’elle voulait rompre. Son plénipotentiaire, M. de Brunnow, appuyé dès le début par l’ambassadeur de Prusse, obtint des succès faciles et à peine contestés. Le plénipotentiaire ottoman ne s’opposa même pas à la révision du traité, et se contenta d’obtenir la promesse de garanties équivalentes à celles dont son gouvernement allait être privé. Quant à l’Angleterre, à chaque sacrifice nouveau qu’elle était obligée de faire, elle ne manifestait son dépit que par l’insertion au procès-verbal de ses vœux ardens pour la prompte arrivée du plénipotentiaire français, et cette expression de ses regrets, reproduits à chaque séance, devint le refrain obligé de tous les protocoles de la conférence.

Enfin le 13 mars, quand tout était déjà convenu entre les principaux intéressés, M. le duc de Broglie fut introduit dans la conférence. Il n’y avait plus rien à dire sur le fond des choses, il n’y avait qu’une signature à donner. En quelques mots pleins de modération et de dignité, notre plénipotentiaire dégagea la responsabilité de la France, qui ne refusait pas de souscrire à des arrangemens auxquels elle n’avait pas concouru, mais qui aurait peut-être préféré s’abstenir jusqu’au bout. « Pourtant, dit-il, le gouvernement français aurait craint de ne pas témoigner assez hautement du prix