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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 99.djvu/546

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çais, et on ne saurait trop y insister. Tout ce qui ressemble à un joug nous est odieux ; nulle part on ne voit plus volontiers un ennemi dans un maître. C’est là une véritable infirmité, qui nous laisse à découvert devant toutes les surprises et toutes les chutes, et dont il serait temps de se guérir. Si l’école en projet pouvait y contribuer, elle nous apporterait un bienfait de plus. Les habitudes de déférence et de respect sont ce qui manque le plus chez une nation que, depuis un siècle bientôt, on a enivrée de ses droits jusqu’au vertige, et qui a surtout besoin de reprendre un peu d’aplomb et la conscience de ses devoirs. D’ailleurs il s’agit ici d’une école d’externes, où le joug, puisque joug il y a, est toujours léger, et qui offre assez de diversions pour n’avoir rien de redoutable. Ni la liberté des mouvemens, ni l’indépendance des résolutions n’en peuvent être affectées ; ce qui peut en revanche y gagner, c’est l’esprit de suite, c’est la tenue, c’est surtout le caractère mieux trempé, plus aguerri pour le combat de la vie. Tout cela, l’école d’apprentis ne le donnera sans doute ni sur-le-champ, ni complètement ; mais elle y est au moins un acheminement, et en est la plus plausible justification.

Une recherche qu’en tout état de cause il fallait faire, c’était de s’assurer si des essais du même genre ont eu lieu soit en France, soit en pays étrangers, et dans quelles conditions. Rien en pays étranger n’est, à proprement parler, l’équivalent d’une école d’apprentis. On ne saurait en effet donner ce nom aux écoles qui, dans le royaume-uni, ont un caractère pénitentiaire, et où l’on se propose d’arracher au vice, au crime, des enfans prématurément pervertis. Nous avons ce type dans nos colonies de Loos, de Gaillon, de Fontevrault et de Mettray. On ne saurait non plus trouver rien d’analogue dans les écoles réelles de l’Allemagne, qui correspondent plutôt à nos écoles primaires supérieures ou à nos colléges d’enseignement secondaire spécial. Il existe, il est vrai, dans ces divers états, à côté des écoles réelles, des ateliers d’apprentissage ; mais ce sont des établissemens spéciaux comme nos écoles d’horlogerie de Cluses et de Besançon, de tissage et de filature de Mulhouse et d’Amiens, qui s’adressent moins à des fils d’ouvriers destinés à devenir ouvriers qu’à des fils de patrons, futurs patrons eux-mêmes. Ce caractère se retrouve, en sens inverse, dans les ateliers d’apprentissage de la Belgique, du Wurtemberg et du grand-duché de Bade. Là l’apprenti est un enfant pauvre, qui est élevé en partie dans l’atelier, en partie à côté de l’atelier, dans une classe où il reçoit tant bien que mal quelques élémens d’instruction générale. C’est un jeune ouvrier, ce n’est pas un élève. Le nombre des enfans élevés de cette façon est d’ailleurs considérable. Dans la Bel-