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affligées. Le livre de M. Surell, plein de science et d’observations, exposait ce que les savans appellent la théorie des torrens, et indiquait ensuite les mesures à prendre pour en arrêter les ravages. L’auteur a eu la bonne fortune de donner, après plus de trente ans, une seconde édition de cette œuvre de jeunesse sans avoir autre chose à en ôter que quelques notes devenues inutiles. Le remède qu’il avait prescrit a été mis à l’épreuve et trouvé bon. L’expérience a confirmé les sagaces prévisions de la théorie.

Et d’abord n’y a-t-il pas lieu de s’étonner que les montagnes bouleversées par les torrens aient été négligées si longtemps ? Un savant, M. Héricart de Thury, des préfets de ces malheureux départemens, MM. Ladoucette et Dugied, s’étaient efforcés en vain d’attirer l’attention sur les ruines que les eaux entassaient chaque année dans la vallée de la Durance. C’était un pays pauvre, éloigné, néanmoins intéressant aussi bien par les souvenirs de son histoire que par l’honnêteté de sa population. La vallée de la Durance a fourni de tout temps le passage le plus commode de France en Italie ; le col du Mont-Genèvre, auquel elle aboutit, n’est pas désert et inhospitalier, c’est un plateau cultivé, habité. C’est par là que, depuis Annibal jusqu’à Louis XIV, on est entré le plus souvent en Piémont. Il n’est pas une gorge de ces montagnes qui ne soit illustrée par un combat. Vauban y avait fortifié les places importantes de Briançon, Embrun et Mont-Dauphin. Napoléon y avait fait passer une des grandes routes militaires de l’empire, et, quand en 1815 l’armée austro-sarde envahit le Dauphiné, les habitans des forteresses surent tenir l’ennemi à distance. Enfin de nos jours la garde mobile des Hautes-Alpes laissait la sixième partie de son effectif sur les champs de bataille. Voilà bien des titres par lesquels ce malheureux pays se recommande à nous. Par bonheur, l’œuvre de régénération de ces montagnes est enfin commencée. Il nous reste à dire comment on a mis à exécution les plans de M. Surell, et quels résultats sont obtenus déjà.

Jusqu’alors, on n’avait connu que deux moyens de défense contre les torrens : ils consistaient à endiguer le lit sur le cône de déjection, afin de donner aux eaux un cours régulier au lieu de les laisser divaguer au hasard parmi les champs cultivés, et à barrer les parties hautes du lit par des fascines ou des murs en pierre pour amortir la rapidité du courant. Les digues étaient surmontées en peu de temps, grâce à l’exhaussement du sol ; les barrages étaient culbutés par les fortes crues, et causaient alors de plus redoutables accidens. De plus, quelques communes de la montagne, effrayées de la ruine progressive de leurs pâturages, s’étaient avisées de les mettre à la réserve, c’est-à-dire d’en interdire l’accès aux troupeaux