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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 99.djvu/609

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En ce moment, un fort coup de vent fit entrer dans la chambre des feuilles sèches et des brins de paille. Marguerite alla fermer la fenêtre, et elle vit sur le bord une feuille de papier à moitié écrite et déchirée comme si ce fût un brouillon de lettre. En ramassant ce papier pour le jeter dehors, elle y vit son nom écrit et l’apporta à sa grand’mère. Mme Yolande le prit, l’examina et le lui rendit en disant : — C’est un commencement de lettre de ton cousin à sa mère. Cela a été enlevé par le vent dans la chambre qu’il occupait au-dessus de la mienne, et, puisque nous sommes en train de croire aux esprits, je pense que nous devons remercier le follet qui nous apporte cette révélation. Lis, ma fille, je te le permets.

Et Marguerite lut ce qui suit :

« Ma chère mère, pardonnez-moi mes folies, je suis en train de les expier. Je me résigne à faire un riche mariage, car j’ai découvert que la petite Margot doit hériter de tous les biens de la vieille tante. La fillette est affreuse, une vraie grenouille, ou plutôt un petit crapaud vert, avec cela très coquette et déjà folle de moi ; mais quand on est endetté comme nous le sommes... »

Le brouillon n’en contenait pas davantage, Marguerite trouva que c’était assez ; elle garda le silence, et, comme elle vit que sa grand’mère était indignée et traitait son petit-neveu suivant ses mérites : — N’ayons point de dépit, ma chère maman, lui dit-elle, et rions de l’aventure. Je ne suis point du tout folle de mon cousin, et vous voyez que sa fatuité ne m’offense point. Vous m’aviez dit hier soir de réfléchir. Je ne sais pas si j’ai réfléchi ou dormi, mais dans mes songeries j’ai vu des choses qui sont restées comme une leçon devant mes yeux.

— Qu’as-tu donc vu, ma fille ?

— J’ai vu une grenouille se parer d’émeraudes, jouer de l’éventail, danser la sarabande, se trouver belle et crever à la peine. Elle m’a paru si ridicule que je ris encore en y songeant. Je ne veux point faire comme elle. J’ai vu aussi un beau cygne s’envoler dans un rayon de soleil, et il me disait : — N’épouse que celui qui t’aimera telle que tu es. — Je veux faire comme il m’a dit.

— Et sois sûre que tu seras aimée pour toi-même, répondit Mme Yolande en l’embrassant avec tendresse, car il y a une chose qui arrive à rendre belle, c’est le bonheur que l’on mérite.

George Sand.