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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 99.djvu/621

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put sans provoquer d’objections prêter le serment d’usage, attester que son fils était né d’une citoyenne, sa femme légitime ; nul n’éleva la voix et ne fit mine d’écarter de l’autel, par manière de protestation, la victime que le père y amenait pour être immolée à cette occasion et partagée ensuite entre les assistans. L’enfant, après cette consécration, fut inscrit sur le registre de la phratrie sous le même nom que son père. Il avait dès lors, si l’on peut ainsi parler, son acte de baptême ; pour prendre la seule expression qui puisse faire bien comprendre le rôle et le vrai caractère de la phratrie, il figurait sur le livre de sa paroisse. Aussi, quand plus tard, à sa majorité, il dut demander son inscription sur le registre civique, sur les listes électorales de sa commune, du dème de Péanée, ne paraît-il pas avoir eu de peine à l’obtenir. L’idée religieuse, d’où étaient sorties les institutions et les lois de la cité antique, conservait encore au IVe siècle un tel empire sur les âmes, les Athéniens étaient si attachés à tout ce qui leur représentait l’époque primitive, l’âge héroïque et légendaire de leur patrie, qu’il devait être rare de voir le dème, association civile et de date récente, entrer en lutte avec la phratrie, association religieuse dont l’origine se perdait dans la nuit des temps. Ajoutez à cela que les membres de la phratrie étaient bien moins nombreux que ceux du dème, puisque chaque dème paraît avoir compris plusieurs phratries ; on devait donc supposer qu’ils se connaissaient mieux les uns les autres, qu’ils étaient ainsi plus à même de contrôler l’exactitude des déclarations faites par les pères. L’enfant à qui s’était ouvert le lieu de culte du groupe de familles auquel il appartenait ne risquait plus guère de voir se fermer devant lui les portes de la cité ; les hommes pouvaient-ils repousser celui que les dieux et les ancêtres avaient accueilli, celui que, depuis plusieurs années, ils admettaient aux cérémonies les plus saintes, aux banquets célébrés autour de leurs autels ?

En 376, le père de Démosthène tomba gravement malade. Se sentant mourir, il s’occupa, en homme sérieux et sensé, de régler l’avenir des siens. Il allait laisser derrière lui, outre une veuve jeune encore, une fille de cinq ans et un fils qui n’en avait encore que sept ; dix années s’écouleraient donc encore avant que celui-ci pût prendre en main l’administration de son bien. Sans doute ce qu’il avait amassé par son industrie était plus que suffisant pour mettre à l’abri du besoin ces êtres chéris ; cela représentait une fortune de près de 14 talens, c’est-à-dire environ 78,000 francs de notre monnaie, capital qui, dans l’Athènes du IVe siècle, suffisait à faire comprendre celui qui le possédait dans la catégorie des citoyens les plus riches et les plus imposés. C’était cet ample patrimoine qu’il s’agissait de garantir à ses héritiers par le choix de