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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 99.djvu/659

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annonçait par conséquent une fusion des modérés avec l’extrême gauche. Tel a été le caractère de la fête du 10 mars, destinée, nous le craignons, à devenir une date sérieuse dans l’histoire de la Hongrie et de l’Autriche. Les chefs du centre gauche ont déclaré qu’ils empêcheraient la loi électorale de passer par tous les moyens qui leur étaient offerts. Ils ont repoussé le reproche d’être les ennemis des réformes et de soulever les races, les nationalités (nemzeliségek) dans un intérêt de parti. Ils ont fait adopter un programme de vaste propagande dans tous les comitats, au moyen de journaux, de brochures, de réunions publiques. A la fin du banquet, M. Jokai a porté un double toast : « Au roi, qui est le premier homme magyar ; à Kossuth, qui est le plus grand homme magyar ! » Séance tenante, on envoyait à Kossuth un télégramme de félicitation.

Rien de moins rassurant. M. Kossuth est sans doute un grand homme, un grand patriote, un orateur comparable seulement aux deux ou trois gloires les plus éclatantes de la tribune française, il pourrait encore aujourd’hui rendre de vrais services à sa patrie ; mais le rôle d’irréconciliable dans lequel il s’enferme obstinément fait de son nom un drapeau dangereux et fatal. Et voilà que ce drapeau, qui signifie haine, vengeance, bouleversement, est porté en triomphe par des hommes modérés dont le mot d’ordre était jusqu’à ce jour : « suppression du dualisme au profit de la simple union personnelle par des moyens légaux et paisibles. » Ces hommes modérés ont frémi de voir la durée de chaque diète, portée à cinq ans au lieu de trois, parce qu’ils avaient calculé que dans les élections générales de 1875 ils deviendraient assez puissans pour empêcher deux ans plus tard le renouvellement du dualisme, système qui n’a été voté que pour dix ans (1867-1877). Cet espoir et bien d’autres encore leur échappant si la loi électorale était mise en vigueur, ils ont juré de l’empêcher de passer malgré la majorité, et la coalition s’est faite.

On se demande comment on peut empêcher la majorité de faire passer une loi, et d’où vient cette assurance d’y réussir ? En France, après une discussion plus ou moins longue, la majorité demanderait la clôture, la voterait, et le projet adopté, fût-ce par 201 voix contre 200, deviendrait loi. Les règlemens de la diète hongroise n’admettent pas que la clôture soit infligée à la minorité. Tant qu’il y a des orateurs inscrits, la discussion doit continuer. Bientôt l’honorable président, M. Somsich, constate avec effroi que cinquante membres de l’opposition sont inscrits pour parler sur le titre et le premier article, et le projet du gouvernement contient plus de cent dispositions, destinées peut-être chacune à une épreuve semblable. La majorité, voulant parer le coup, décide qu’il y aura des