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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 99.djvu/681

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ce qu’on allait entreprendre. Que s’est-il passé depuis, quels chanteurs sont mis en avant, quelles partitions ? Ce malheureux cahier des charges, qui tantôt existait encore pour la forme, vous verrez qu’on ne se donnera même plus la peine de l’éluder. On parlera de la misère des temps, et tout sera dit.

C’est un accident fâcheux à tout point de vue que ce soit un ministre de l’instruction publique qui nomme aujourd’hui le directeur de l’Opéra. La Sorbonne est un pays placé aux antipodes de cette partie du monde où résonne l’orchestre de Mozart, de Rossini, d’Halévy, d’Auber et de Meyerbeer. Je me représente M. Cousin, qui certes en valait bien d’autres, et je me demande ce que cette puissante et fière intelligence eût compris à de semblables attributions, et comme l’illustre philosophe se fût tiré de la difficulté, s’il avait eu à donner un chef de sa main à cet aimable personnel de la danse et du chant, très médiocrement en rapport, avouons-le, avec les professeurs de nos lycées et nos recteurs d’académie. Encore y avait-il chez M. Cousin un côté mondain qu’il ne faut point s’attendre à rencontrer chez le premier venu. Le traducteur de Platon était doublé de l’historien des belles dames de la fronde, et son grand art du savoir-vivre l’eût éclairé sur certaines incompatibilités que d’autres ne soupçonneront même pas. Nous ne souhaiterions, quant à nous, que d’accepter ce qu’on nous donne, et si le directeur se montre actif, intelligent, artiste, s’il ne réforme que pour améliorer, si ses économies n’atteignent aucun des services nécessaires à la grandeur du théâtre, nous ne pousserons pas la défiance plus avant. Justice ou prévention, nous avons toujours eu cette idée, que la province était, en matière d’administration théâtrale, une mauvaise voie d’acheminement vers Paris. Ce rôle de maître Jacques, à la fois directeur et régisseur, ici ne saurait convenir. À ce rude métier d’administrateur de l’Opéra, il faut une initiative que ne réclament les théâtres ni de Lyon ni de Bordeaux, où les ouvrages vous arrivent tout faits, avec leurs décors, leurs costumes et jusqu’à leur mise en scène. Un homme qui viendrait à Paris suivre les erremens de la province, qui, sous prétexte de simplifier, renverrait divers employés en prenant lui-même à tâche leurs fonctions, un tel homme serait la ruine de l’Opéra, et nous n’aurions qu’à nous en débarrasser au plus vite. Gardons-nous d’abaisser les niveaux, hélas ! déjà bien assez à ras de terre. La place d’un directeur de l’Opéra n’est point parmi ses machinistes ; sa place est dans son cabinet, où du matin au soir les compositeurs et les artistes de tout genre se succèdent, où s’élaborent les partitions, se ménagent les auditions et se discutent les traités. Après cela, rien n’empêche qu’on aille visiter ses peintres et ses costumiers et présider à la répétition ; mais la grande affaire est de susciter de bons ouvrages et d’avoir des chanteurs.

Pour le moment, les chanteurs manquent absolument. A la vérité,