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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 99.djvu/693

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et des plus autorisés, vient d’être instituée. C’est la première garantie donnée au pays de la manière dont ses fonds vont être employés. N’oublions pas qu’il s’agit à présent de voir les choses d’un peu haut. Jusqu’ici, les intérêts de l’art n’ont été que trop abandonnés à la direction des subalternes. Les hommes que les événemens ont appelés au pouvoir, soit qu’ils n’eussent de la question aucune idée spéciale, soit qu’ils fussent sollicités ailleurs par des raisons plus graves, ont commis cette triste erreur de laisser à des chefs de bureau le soin de pourvoir à tout. La commission comprendra ce qu’une telle situation renferme de périls. Il importe qu’elle soit là, non-seulement pour veiller sur l’avenir, mais pour rectifier le passé et régler le présent. Il faut qu’elle-même rédige les cahiers des charges, quitte à les faire intégralement exécuter ensuite. Ce que veut l’assemblée, ce que nous voulons tous, c’est que les subventions ne soient pas un simple thème à tirades oratoires. Nous attendons qu’on nous montre des résultats ; l’état paie assez cher sa curiosité pour savoir désormais à qui profitent ses largesses, et si c’est l’art musical qui s’enrichit ou seulement le directeur du théâtre. Nous ne pouvons admettre cependant que la France donne à l’Opéra 800,000 fr., qu’elle entretienne un Conservatoire national de musique et de déclamation, à cette unique et glorieuse fin de voir la brillante jeunesse de ses écoles subvenir aux besoins du répertoire des Variétés, des Bouffes-Parisiens et des Folies-Dramatiques. Phénomène très remarquable que l’envahissement chaque jour plus complet de ces illustres scènes ! Cet art, qui dans l’origine n’eut qu’un fournisseur, un seul, compte désormais des adeptes par douzaines. En serait-il ainsi, je le demande, si les avenues des grands théâtres s’ouvraient comme elles doivent au talent qui se présente sous le firman du prix de Rome ? Ces jeunes lauréats dont les directeurs se sont tant joués, à force d’être rebutés de partout, ont fini par ne plus se prendre au sérieux, et les voilà qui se moquent d’eux-mêmes et de vous. Sunt lacrymæ rerum ! Vous les envoyez à Rome s’édifier au spectacle de la ville éternelle, déchiffrer les palimpsestes sacro-saints, écouter la musique des anges dans la chapelle Sixtine. Quand ils vous reviennent d’un pèlerinage si fameux, c’est pour écrire le Canard à trois becs, la Tour du Chien vert, la Timbale d’argent, les Cent Vierges, et donner le coup de pied de Cassandre à Pierrot dans le dos de Palestrina et d’Allegri. Assez de pindarisme, déposons la lyre thébaine, voyons les choses comme elles sont, et que la question des subventions, lorsqu’elle se représentera, redevienne une question comme les autres. L’assemblée doit être éclairée, elle veut des raisons et non des hymnes ; elle s’est laissé émouvoir trop aisément, il est temps et grand temps que quelqu’un vienne enfin à ce propos lui parler affaires dans la langue de M. d’Audiffret-Pasquier.


F. DE LAGENEVAIS.