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dans le débat plus de bruit que de raisons et d’argumens nouveaux. Entre M. Rouher et M. d’Audiffret-Pasquier du moins, la lutte a été serrée, pressante et sérieuse. À vrai dire, la position de l’ancien ministre d’état était singulièrement délicate. Réduit au silence par les événemens de ces deux dernières années, entraîné dans la chute du gouvernement qu’il avait servi, dont il était le plus brillant orateur, M. Rouher reparaissait pour la première fois à la tribune, non plus désormais devant un corps législatif empressé à lui décerner des ovations, mais devant une assemblée qui a prononcé la déchéance de l’empire, et qui a par cela même sanctionné la révolution de septembre. Pour l’ancien président du sénat impérial, c’était une épreuve qui avait ses périls, tout ce qu’on peut dire, c’est que M. Rouher a réussi à parler pendant trois heures, de façon à se faire écouter d’une assemblée hostile, systématiquement glaciale, et il a parlé avec assez d’habileté du moins pour ne provoquer ni l’intervention du gouvernement, ni une explosion trop violente des passions qui grondaient sourdement. M. le duc d’Audiffret-Pasquier, de son côté, il faut en convenir, avait tous les avantages, la netteté de la situation, la faveur de l’assemblée, la force du sentiment d’honneur qui dirige les travaux de la commission d’enquête, l’encouragement de l’opinion, et, porté par ce courant, le président de la commission des marchés est resté sans effort à la hauteur où il s’était placé il y a quelques semaines, il a retrouvé par l’éclat, par la nerveuse chaleur du nouveau discours qu’il a prononcé, le succès qu’il avait obtenu le 4 mai. M. le duc d’Audiffret, comme orateur, comme historien de l’administration impériale, a su défendre et garder les positions qu’il avait conquises. Il a été plus heureux que beaucoup de généraux.

C’était une lutte inégale. Après la bataille qu’il a livrée sans la gagner, M. Rouher reste certainement un orateur habile à exposer une affaire qu’il a bien étudiée. Il a été l’autre jour ce qu’il était autrefois, lorsqu’il ne se bornait pas uniquement à sonner la fanfare, et, quel que fût son talent, il ne devait pas moins être vaincu ; il ne pouvait s’assurer un certain succès relatif et tout personnel qu’en ayant l’air d’oublier la cause qu’il représente, en s’efforçant de diminuer la question qu’il s’était chargé de porter devant l’assemblée. En quoi consiste en effet la thèse qu’il a développée ? Elle se réduit tout simplement à essayer de montrer, à soutenir que l’empire n’est presque pour rien dans les marchés qui ont été négociés durant la guerre, qu’il s’était entouré de précautions pour assurer l’exécution de ceux qu’il avait conclus, que la plupart des marchés qu’on incrimine sont l’œuvre du gouvernement du 4 septembre, que M. le duc d’Audiffret-Pasquier a dû nécessairement se tromper dans la navrante description qu’il a faite du dénûment de nos arsenaux, de l’insuffisance de nos armemens, de la désorganisation des services militaires. Eh bien ! soit, l’ancien ministre d’état peut avoir