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pampas de l’Amérique du Sud ou les steppes du Volga. Ces solitudes ont un caractère de majesté mélancolique qui convenait à la Rome des papes et qui était en parfait accord avec les ruines de la Rome antique. Chateaubriand a décrit admirablement cette harmonie dans sa lettre à M. de Fontanes, peintres et poètes s’en sont inspirés à l’envi ; mais une capitale moderne peut-elle se développer au centre d’une campagne qui, pendant une partie de l’année, lui envoie sur l’aile des vents les germes d’une maladie terrible et souvent mortelle ? Le gouvernement italien ne l’a pas cru ; aussi a-t-il nommé des commissions spéciales pour rechercher les causes du mal et les moyens de le combattre. En cela, il n’a fait que suivre l’exemple des papes. Dans un motu proprio de 1802, Pie VII avait décrété une foule de mesures pour arriver à repeupler la campagne romaine, et en 1829 Pie VIII promit une prime de 10 baiocchi pour tout pied d’olivier ou de mûrier nouvellement planté. Les primes furent payées, mais les arbres disparurent, et l’état de la campagne romaine resta le même.

Le problème est des plus compliqués, car il touche en même temps à des questions d’hygiène, d’économie rurale et de législation foncière. On est enfermé dans un cercle vicieux. La malaria provient en grande partie du défaut de population. La population manquant, la terre n’est pas suffisamment asséchée, et la population manque parce que la malaria la tue ou la chasse. Mais quelle est la cause de la malaria ? Elle provient, dit-on, des sporules d’une algue d’eau douce, qui empoisonnent l’air quand elles mûrissent et que le soleil a mis à sec les marais où cette plante croît. Il faudrait donc faire disparaître les eaux marécageuses ; or comment y parvenir ? À la rigueur, l’état peut se charger du dessèchement des grandes lagunes, comme celles d’Ostie et de Maccerata, au moyen de travaux et de pompes semblables à ceux qui ont converti le lac de Harlem en un canton nouveau d’une admirable fertilité ; mais cela ne suffirait pas. Toute la campagne romaine est parsemée de petites mares, de flaques d’eau, de fossés croupissans, de terrains humides, qui sont inondés l’hiver et que l’été convertit en autant de foyers d’infection. L’état ne peut pas imposer aux propriétaires actuels le travail énormément coûteux d’assécher complètement le sol. Il ne peut non plus se charger lui-même de cette opération, à moins d’exproprier tout l’agro romano, de l’exploiter en régie, et d’y entretenir toute une armée d’ingénieurs et d’ouvriers. Seuls, de petits propriétaires viendraient à bout de ce travail d’Hercule ; mais la terre appartient à des corporations, à des grands seigneurs opulens, à des majorats. Faut-il donc exproprier la terre pour la vendre en parcelles, et trouverait-on des acquéreurs ayant un capital suffisant et disposés en même temps à s’exposer à la mort, pour conquérir le sol sur la fièvre des marais[1] ?

  1. Dans une publication récente, M. le comte Leonetto Cipriani, sénateur du royaume, propose d’exproprier toute la campagne romaine et les Marais-Pontins, et de concéder ce territoire à une compagnie puissante, qui ferait tous les travaux d’amélioration indiqués par la science. Le comte Cipriani pense que la culture de la betterave et la fabrication du sucre donneraient des résultats magnifiques.