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trésors naturels si longtemps enfouis dans les profondeurs du sol et méconnus. Une sage politique conseillait donc à nos voisins d’étendre les moyens de culture morale pour accroître les sources du travail et du bien-être.

Il ne faut pas non plus se dissimuler que le mouvement des classes ouvrières inquiète depuis ces dernières années la Grande-Bretagne. L’armée des travailleurs n’est plus ce qu’elle était autrefois, humble et docile sous la main de l’aristocratie. Dans les élections politiques, les artisans n’ont point encore remporté de grandes victoires ; mais ils connaissent leur force et se promettent bien de s’en servir lorsque viendra le moment. Après tout, les Anglais éclairés ne craignent point l’égalité par en haut ; ce qu’ils redoutent est l’égalité par en bas. Or ils se sont dit que le seul moyen d’élever les classes inférieures sans abaisser les classes supérieures était l’éducation. Il n’en est point des richesses de l’intelligence comme des richesses matérielles, qui s’amoindrissent en se divisant. La distribution des lumières et des connaissances échappe aux lois du monde économique : c’est là seulement que le partage est tout à la fois possible et légitime ; les idées se répandent sans appauvrir celui qui les communique, elles se fécondent au contraire en se donnant. Aussi la ligue de l’éducation nationale attachait-elle une grande importance à l’adhésion des trades’ societies, ces puissantes organisations de travailleurs, et à celle des sociétés coopératives. Les unes et les autres répondirent immédiatement à l’appel. Dans tous les meetings figuraient les délégués de certaines industries, des charpentiers, des mécaniciens, qui apportaient avec leur concours celui des camarades dont ils étaient les représentans. En se rattachant à la cause de l’éducation universelle et gratuite, ces ouvriers ont suivi le conseil que leur donnait un des leurs, M. Cremer. « Nous gémissons, disait-il, sur le gouffre qui sépare les classes en Angleterre, nous regrettons qu’il y ait des castes et des privilèges dans la société ; mais, soyez-en convaincus, mes amis, vous ne nous délivrerez jamais de cet ordre de choses, dont vous êtes les victimes, tant que vous n’aurez point atteint le niveau intellectuel de ceux qui vous dominent. C’est la condition nécessaire de l’égalité. Essayez tout ce que vous voudrez, une classe rude et ignorante ne sera jamais l’égale d’une classe éclairée et polie. Ce que vous avez donc à faire est de vous instruire. » On voit d’ici dans quelle intention, je dirais presque dans quel intérêt, les ouvriers anglais se rattachèrent avec enthousiasme à un mouvement d’idées derrière lequel ils entrevoyaient de grands avantages pour eux ou du moins pour leurs-enfans. Il y avait à Londres, sous la présidence de M. George Odger, un groupe composé surtout des secrétaires de grandes