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des yeux noirs, francs et animés. Les accessoires sont simples : un col blanc, un fichu bleu, une robe noire ; le fond est un treillis de verdure figuré feuille à feuille et non sans quelque affectation de réalisme. L’exécution, ferme, vigoureuse et franche, a cependant une certaine dureté, qui tient sans doute au cercle noir qui entoure toute la figure. Beaucoup de peintres ont aujourd’hui cette manie de détacher leurs contours à l’emporte-pièce, afin de leur donner une vigueur apparente. Ce procédé grossièrement enfantin a été mis surtout à la mode par quelques prétendus novateurs de la soi-disant école réaliste. Ignorent-ils donc qu’il n’y a rien de pareil dans la nature ? Les contours doivent au contraire se fondre dans l’air ambiant, et les lignes ne sont qu’un moyen de se rendre compte des masses en mesurant les plans d’ombre et de lumière. Bien loin de donner du relief aux figures, ces cercles noirs en font saillir les bords et en ruinent l’harmonie.

Faut-il parler de Mme Henriette Browne ? Son talent ne me semble pas en progrès. De la distinction, de l’esprit, du naturel, de la facilité, Mme Browne a gardé toutes ces qualités à la fois féminines et françaises, elle ne les perdra jamais ; mais jusqu’à présent elle n’a pas réussi à s’ouvrir un horizon plus large. Son Alsace est une jeune paysanne vêtue de noir, portant la croix rouge des ambulances, qui quête avec un plat d’étain rempli de pièces de monnaie. Nous n’avons rien de plus à en dire. Le portrait d’une femme assise, les bras croisés, avec des fourrures autour du cou, a plus de valeur sérieuse. C’est de la peinture aimable et saine, distinguée, quoique un peu bourgeoise, et spirituelle, quoique sans prétention.

Faut-il enfin parler de M. Dubufe ? Nous aurions préféré nous taire, par déférence pour le succès et pour le mauvais goût public. M. Dubufe est un de ces artistes enviés qui ont rencontré la vogue, et qui de leur vie n’ont fait une véritable œuvre d’art. Il a été l’élève de Paul Delaroche, dont il ne semble avoir appris qu’à vernir ses toiles et à ne pas y laisser un grain de poussière. C’est le Blaise Desgoffes du portrait. Ses personnages ressemblent tant à des figures de cire qu’on les prendrait volontiers pour des natures mortes. Ses tableaux luisans de propreté attirent forcément les regards. Voici par exemple une grande figure en casaque bleu tendre et en manteau jaune, qui ne peut manquer d’être vue. Femme ou poupée, je ne saurais trop dire ; — ce qu’il y a de certain, c’est qu’elle a la plus grande envie qu’on la remarque ; elle n’aurait pas fait si belle toilette pour passer inaperçue. Oui sans doute, M. Dubufe est un incomparable tailleur pour dames ; il connaît à merveille toutes les pièces de leur vêtement, et cependant il habille trop