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C’est à un peintre de nature morte, M. Philippe Rousseau, que nous allons demander des leçons de goût, de mesure et d’harmonie. Dans ce genre réputé inférieur, M. Rousseau s’est fait une place qui éclipse bien des talens plus ambitieux que le sien. C’est que M. Philippe Rousseau est un véritable artiste, qui ne se contente pas de savoir peindre un morceau, mais qui se donne la peine de composer, de méditer, de distribuer ses sujets. Son tableau des Confitures est certainement un de ses plus beaux. La couleur n’en est pas seulement admirable, l’arrangement en est ingénieux, élégant, harmonieux, gracieux même, quoique uniquement composé d’objets vulgaires. Dans un magnifique chaudron renversé, un tas de superbes prunes noires attendent le moment de l’opération. Une écumoire se dresse fièrement plantée au milieu. De beaux pains de sucre enveloppés de papier bleu et décolletés seulement du bout élèvent leurs cônes majestueux au fond du tableau. Des prunes jaunes transparentes remplissent des vases de faïence, des piles de pots de confiture se dressent à côté d’une balance. Sur le bord de la table, un almanach de cuisinière, un grand couteau de cuisine et un bas à demi tricoté animent la scène. — C’est un jeu d’esprit, direz-vous ; non, c’est de l’art, et du grand art dans un sujet modeste. Il serait à désirer que beaucoup de peintres d’histoire ou de style s’inspirassent un peu plus des Confitures de M. Philippe Rousseau.

M. Vollon et M. Monginot, qui excellent aussi dans le genre des natures mortes, sont loin d’être des artistes aussi sérieux et aussi complets. M. Monginot a un grand éclat de coloris, et se plaît à représenter de riches étoffes, des plats d’argent, des cassettes ciselées, des faïences, des plumes de paon, des fleurs brillantes. La facture en est très belle, mais c’est à peu près tout. — M. Vollon, dont le coloris original et la sombre vigueur sont fort admirées depuis quelque temps, est certainement un peintre d’un faire large, hardi, et d’une certaine étrangeté qui ne nuit jamais au succès. Il y a quelque chose de tragique dans l’aspect de son grand chaudron jaune, dont le relief et l’éclat sont incomparables, les poissons jetés à côté sur la table sont d’une touche grasse, large et d’une finesse de tons merveilleuse ; mais il y a des négligences, une certaine disposition fâcheuse au charlatanisme, à ce que nous avons appelé déjà le chic. Le tableau intitulé le Jour de l’an, qui représente un polichinelle entouré d’oranges, de dragées, de bonbons et autres attributs de la nouvelle année, est un caprice brillant, mais une plaisanterie au point de vue de l’art ; la facture même n’en est pas sérieuse, et ce n’est pas encore avec de tels exemples qu’on régénérera l’école française.