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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 99.djvu/91

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présomptueuse des hommes. On a tenu cinq mois, mais à quel prix et par quels moyens ? Voilà toute la question, et cette question, elle commence à être étrangement éclairée par l’enquête. Le général Trochu raconte avec candeur que le 4 septembre au soir, voyant pour la première fois ceux dont il allait être le collègue et le président dans le gouvernement de la défense, il s’était borné à leur demander des garanties sur trois choses, Dieu, la famille et la propriété. Il faut convenir qu’on ne lui marchanda pas les trois choses qu’il voulait mettre en sûreté avant de se jeter à l’eau tête baissée, selon son expression. Moyennant ces garanties, tout le reste était permis ou possible, et par le fait, pendant ces cinq mois, Paris, cerné et retranché dans la solitude, n’a connu d’autre politique que ce système de concessions permanentes, tantôt à la force des circonstances, tantôt à des exigences tyranniques, quelquefois à des illusions ou à des passions généreuses, souvent à des prétentions de parti ou de faction. Il fallait acheter la paix intérieure ; tout était là.

Une politique de transaction et de concessions était la première des nécessités, la condition essentielle d’une défense prolongée, dira-t-on. Sans doute, c’était une nécessité qui résultait de la nature des événemens et de la situation, qui tenait aussi à la composition de ce pouvoir un peu incohérent jeté à la direction des affaires dans un jour d’insurrection. Il est bien clair, que le gouvernement était jusqu’à un certain point lié par son origine. Sans avoir préparé ou désiré la révolution du 4 septembre, il était l’œuvre de cette révolution et il lui devait des gages. Sans se confondre avec les chefs de secte ou de faction qui s’agitaient dans Paris, il avait subi leur concours avant d’être exposé à leurs agressions. Parmi ses adversaires les plus violens du lendemain, il comptait des amis de la veille qui pouvaient lui écrire : « Quel malheur que je sois ton prisonnier ! tu serais mon avocat. » Compter avec les révolutionnaires de toute sorte qui voulaient leur part de victoire ou rompre inflexiblement avec eux, c’était l’alternative qui s’offrait au gouvernement de la défense nationale ; lui, il ne comptait qu’à demi et il ne rompait qu’à demi avec la tourbe agitatrice. On refusait de reconnaître le grade de colonel que Gustave Flourens s’adjugeait de sa propre autorité, et on lui donnait le titre fantastique de « major de rempart, » qui permettait toujours le galon. C’était une politique. Évidemment, d’un autre côté, la situation extraordinaire où l’on se trouvait, les conditions exceptionnelles d’une ville assiégée, faisaient une sorte d’obligation de se prêter à toutes les facilités, à toutes les combinaisons possibles en tout ce qui touchait l’armement, l’alimentation, l’administration économique de Paris. Pour ceci, la carrière était ouverte à toutes les imaginations, à toutes les imprévoyances, au risque de la confusion et de la