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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 99.djvu/926

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porté au pouvoir par la majorité anti-esclavagiste ; c’était planter au Capitole le drapeau de l’abolition de l’esclavage. Les états du sud y répondirent en arborant le drapeau de la souveraineté de l’état dans ses limites. C’était la guerre civile compliquée de questions sociales et religieuses ; elle eut le caractère sombre et impitoyable de ces sortes de luttes. Les états du sud furent subjugués, et le droit de propriété de leurs habitans fut anéanti. Leurs 3 millions d’esclaves, dont le pacte fédéral, leur garantissait la possession, furent déclarés libres et citoyens. A 1,000 dollars par, tête, cela faisait un capital de 15 milliards de francs enlevé à la propriété foncière. Les terres suivirent la condition des bras qui les travaillaient, et furent les unes séquestrées, les autres confisquées au profit des nouveaux affranchis. La constitution de 1776 était violée, mais telle était la volonté du peuple, formulé, par le congrès, où siégeaient seuls les représentans des vingt-quatre états victorieux : le nord restait en pleine légalité, il était la majorité. Les dix états du sud rebelles étaient la minorité, ils se trouvaient légalement condamnés. Cette guerre, pendant les quatre années qu’elle avait duré, avait coûté 13 milliards de francs. Grâce aux immenses ressources du pays, à son crédit sur les places étrangères, ces 13 milliards, sortis des presses de l’état et restés dans le pays, acquirent la même valeur monétaire que s’ils fussent sortis en lingots d’or des mines de la Californie. Ce décuplement de capital produisit en Amérique l’effet qu’avait produit en Espagne l’exploitation des mines d’or et d’argent du Mexique et du Pérou. L’or perdit de sa valeur, relative, tous les produits virent doubler la leur, résultat dont le contre-coup commence à se faire sentir partout en Europe. Cette unité du pays et ces richesses nouvelles ont permis aux États-Unis d’affirmer hautement, leur politique extérieure, dont jusque-là ils s’étaient contentés de plaider la légitimité. Cette politique repose sur deux ou trois aphorismes anglais apportés en germe par les premiers colons, et affirmés au fur et à mesure du développement du pays sous le titre « d’aspirations nationales. »

Ce à quoi aspire le peuple des États-Unis, c’est à rester par l’annexion, l’achat ou la conquête le maître unique du continent nord-américain et des îles qui géographiquement s’y rattachent, — à dominer par voie d’infiltration les Amériques espagnole et portugaise, — à substituer dans l’inde, en Chine, au Japon, par le bas prix des marchandises ; et la modicité des transports, son commerce au commerce anglais, — à faire enfin, comme camionneurs maritimes, concurrence aux marines d’Europe, dans les ports européens. Ce qu’il repousse en principe (doctrine Monroë), c’est l’intervention européenne armée dans les deux Amériques. Avec un tel programme, non-seulement les États-Unis n’ont pas besoin