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« TURNCOAT. — Vous oubliez que nous aurons des agens dans le pays qui feront circuler, le bruit que la ville lui est hostile. Ils en auront l’air chagrin, et cette manœuvre habile le, fera abandonner de tout le pays.

« LE GOUVERNEUR. — D’ailleurs, mon cher Randolph, il est très facile de persuader séparément, chaque paroisse. Dans chacune d’elles, nous envoyons des agens : à Attakapas et à Opelousas, par exemple. — Pour qui êtes-vous ? disent-ils au peuple. — Pour Cramford. — Et nous aussi, répondent-ils, et toute la Nouvelle-Orléans est de notre avis ; malheureusement cela ne servira de rien ; c’est un homme si impopulaire. — Quel dommage ! s’écrie, le peuple, nous l’avions choisi ; mais naturellement, nous devons l’abandonner pour assurer l’unanimité dans le parti. — Naturellement, continuent les agens les larmes aux yeux, c’est très triste ; mais il faut qu’il en soit ainsi. — Qui choisirons-nous à sa place ? — Randolph. — Nous n’ayons jamais entendu parler de lui. — Quoi ? l’homme le plus populaire dans l’état ! — Il n’est pas de notre choix ; mais, si tout le monde le désire, nous devons lui donner la préférence. — Nous vous assurons que c’est le candidat qui a le plus de chance de succès, répondent les agens. — Et la chose est ainsi arrangée.

« LOVEDALE. — On joue la même scène dans tous les autres districts de l’état, et l’homme que tout le monde désirait est mis de côté pour tout le reste de sa vie.

« RANDOLPH. — Mais on nous demandera pourquoi il est si impopulaire.

« GAMMON. — Mon cher monsieur, un politicien ne donne jamais de raisons particulières au peuple. Cramford est impopulaire parce qu’il est impopulaire ; c’est inexplicable, mais il est impopulaire ! Peut-être pourrait-on ajouter qu’il est fier, qu’il n’est pas du peuple, qu’il est aristocrate… Cela prend, soyez-en sûr, et il est coulé à tout jamais.

« LE GOUVERNEUR., — Eh bien ! . Randolph, qu’ayez-vous à dires maintenant ?

« RANDOLPH. — Messieurs, si je vous ai bien compris, quoique notre gouvernement soit constitutionnel en apparence et démocratique sur le papier, il n’est en somme qu’une oligarchie.

« LE GOUVERNEUR. — Ce n’est pas notre faute.

« RANDOLPH. — N’importe à qui la faute. Si je suis élu gouverneur, comme j’en serai redevable à cette oligarchie et non au peuple, qu’est-ce que cette oligarchie attendra de moi ?

« LOVEDALE. — Parbleu ! une mutuelle assistance. Vous l’aiderez, et elle vous aidera.

« RANDOLPH. — Mais on, peut me demander des choses contraires a mon serment et à ce que je croirai devoir au peuple.

« LOVEDALE. — Au diable le peuple ! qui s’occupe du peuple ? Nous parlons ici en amis, à cœur ouvert, comme des hommes pratiques, comme des hommes politiques. Je commence à croire que notre ami ne veut pas comprendre.