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politique s’efforcent de donner à ces entrevues princières l’apparence de combinaisons profondes dont notre pays aurait à souffrir, ils sont libres. Allemagne, Russie, Autriche, Italie, ont plus d’un compte à régler ensemble avant qu’il y ait rien de sérieux dans ces alliances de fantaisie, dans ces beaux projets qu’on lance de temps à autre comme des bulles de savon. Quant à l’Angleterre, pour sûr, elle n’est point en ce moment occupée de ce qui se passe sur le continent européen ; elle a bien assez de se débrouiller avec cette éternelle question de l’Alabama, qui, après six mois de procédures, de négociations, de communications télégraphiques à travers l’Océan, d’explications diplomatiques ou parlementaires, en est revenue tout juste au point où elle était le premier jour, c’est-à-dire que rien n’est terminé absolument. On avait cependant bien fait ce qu’on avait pu pour s’entendre sur le malheureux traité de Washington. On avait imaginé un article supplémentaire qui devait mettre fin à tout. Les États-Unis semblaient abandonner les dommages indirects. Le tribunal arbitral de Genève allait pouvoir se réunir demain même, jour fixé depuis longtemps ; mais voilà qu’au dernier moment tout est remis en doute. Le sénat de Washington s’est séparé sans avoir approuvé les dernières modifications demandées par le cabinet de Londres dans l’article supplémentaire. Les États-Unis se refusent à proposer un ajournement du tribunal de Genève, et l’Angleterre reste en face de cet inutile amas de procédures entassé depuis six mois. M. Gladstone et lord Granville poursuivent le cours des succès diplomatiques qui ont illustré leur carrière ministérielle depuis quelques années !

L’Espagne ne se livre point précisément aux procédures de la diplomatie ; mais sa situation est à coup sûr une des plus curieuses et des plus malheureuses où puisse se trouver une nation. La vérité est que tout devient de plus en plus obscur et incertain au-delà des Pyrénées. Et d’abord, où en est l’insurrection carliste ? Les dépêches officielles renouvellent chaque jour, il est vrai, l’assurance qu’elle n’existe plus, que les contrées envahies par la guerre civile sont pacifiées ; il se trouve seulement que les mêmes dépêches constatent d’un autre côté la présence de bandes insurgées dans plus de vingt provinces. En Catalogne et en Navarre notamment la guerre semble avoir pris quelque recrudescence. Le chef carliste Carasa échappe à toutes les poursuites, se retrouve partout, et les bandes ont si peu disparu, que l’autre jour, à ce qu’il paraît, l’une d’elles a enlevé l’escorte du général Serrano lui-même, rentrant à Madrid après avoir signé cette convention d’Amorovieta qui devait être l’acte définitif de pacification. À dire vrai, rien n’est pacifié, et ce qui se passe d’un autre côté à Madrid n’est peut-être point de nature à désarmer l’insurrection carliste.

Ce qui se passe à Madrid en effet n’est rien moins que le signe d’une situation plus troublée encore par le désordre moral, par l’anarchie des