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pour rejoindre le rivage qu’on venait de quitter; le second, quelque temps après, plana un peu au-dessus du navire, puis revint s’y abattre; plus tard enfin, le troisième s’envola droit en avant et ne reparut pas : en suivant la direction de son vol, Floki rencontra la terre, et c’est lui qui donna à cette île le nom de Terre de glace, is-land. Toutefois les premiers vrais colons furent en 874 Ingolf et Leif, deux exilés fuyant la Norvège après un meurtre exécuté en commun. Criminels et pirates ne faisaient alors que frayer la voie à ce que nous pouvons réellement appeler les émigrés politiques. Le milieu du IXe siècle avait vu à la fois le moment de la plus grande expansion des races Scandinaves, un mouvement de concentration monarchique dans chacune des parties principales de la péninsule, et les premiers efforts de la prédication chrétienne dans l’extrême nord. Ceux des chefs norvégiens qui ne se résignaient pas à une double défaite, politique et religieuse, s’en allèrent prendre possession de l’Islande. Il est naturel de penser que les dispositions par eux observées dans ces solennelles circonstances rappelaient d’anciennes et traditionnelles coutumes, sans doute pratiquées quand les peuples du nord avaient, de quelque part qu’ils vinssent, fait en Europe leur primitive invasion. Le chef de famille, nous dit le Landnama-Bok, emportait avec lui quelques mottes de la terre qui avait, dans son ancienne patrie, supporté son autel. Il prenait aussi, racontent ces vieux livres, les deux montans du haut siège qui, dans sa demeure, lui était exclusivement réservé; les extrémités de ces montans étaient sculptées et représentaient les têtes des principaux dieux, de sorte qu’on voyait en eux à la fois des symboles de l’autorité paternelle et de religieux emblèmes. Dès que le navire était en vue des côtes, l’émigrant les jetait à la mer, et là où la mer les faisait échouer il abordait et s’établissait, comme par la volonté divine. A peine débarqué, le nouvel arrivant prenait possession du sol, soit en allumant sur la côte un grand feu dont les rayons, aussi loin qu’ils se prolongeaient, marquaient l’étendue de son domaine, — soit en chevauchant, une torche brûlante à la main, dans un sens opposé au cours apparent du soleil, pour tracer en un jour sa future frontière, — soit en lançant à travers le pays une flèche enflammée, — soit en marquant sur les rochers des signes que la loi saurait plus tard reconnaître et défendre. On construisait ensuite la maison du chef et le temple commun, près duquel était bientôt institué le tribunal. Les livres que nous avons cités permettent de saisir dans ses principaux traits cette société naissante. Elle n’a pas de peine à se former, puisque c’est la copie d’une société antérieure transportée de toutes pièces dans une autre contrée. Des changemens interviennent toutefois au milieu de circonstances nouvelles : une république aristocratique remplace