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Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 12.djvu/142

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« L’entreprise est difficile, dit ce dernier ; je vais t’indiquer cependant la voie que je crois la meilleure ; tu peux réussir, mais à la condition d’observer ponctuellement mes avis. Si tu négliges un seul point, ta vie même est en danger. Tu prendras deux compagnons. Par-dessus tes vêtemens tu mettras un surtout brun d’étoffe commune, sur lequel tu jetteras un manteau de voyage. Porte à la main une petite hache. Chacun de vous trois aura deux chevaux, l’un gras et l’autre maigre ; munis-toi en particulier d’un attirail de forgeron. Vous partirez demain de bonne heure. Quand vous arriverez à la Rivière-Blanche, souviens-toi d’enfoncer ton chapeau sur tes yeux. Les gens se demanderont qui est cet homme à la haute taille ; tes compagnons répondront que c’est le marchand de ferraille Hedin, du canton d’Œfiord, qui fait sa tournée. Il est bien connu dans le pays ; c’est un vaniteux qui croit seul tout savoir ; pour des riens il rompt ses marchés et querelle les gens. Tu iras jusqu’au Borgefiord en offrant partout ta marchandise et en te montrant querelleur, afin que le bruit se répande dans la contrée que cet Hedin est bien le pire des hommes en affaires, et que sa réputation ne ment pas. Tu te dirigeras par le Nordaadal vers le Hrutafiord, et tu arriveras chez Hrut. Là offre de nouveau tes marchandises, présentant comme le meilleur ce que tu as de pire. Le fermier d’abord voudra voir les objets ; il y trouvera cent défauts : arrache-les-lui des mains, fais tapage, et parle grossièrement. Il ne s’étonnera pas, disant qu’Hedin agit de la sorte avec tout le monde. Cependant Hrut viendra, attiré par le vacarme ; il te dira de le suivre chez lui ; accepte, salue honnêtement, il te répondra de même et te fera asseoir sur le banc inférieur en face de son haut siège. « Viens-tu du nord ? demandera-t-il. Réponds que tu es d’Œfiord. — Y a-t-il dans ce canton beaucoup d’hommes renommés ? Réponds que ce sont pour la plupart de pauvres diables. — Connais-tu le Reikedal ? dira-t-il encore. Réponds que tu connais toute l’Islande. — Y a-t-il beaucoup de braves gens dans le Reikedal ? Réponds : rien que des voleurs et des vauriens. » Cela le fera rire, et il prendra plaisir à t’écouter. Vous en arriverez à parler du Rangaavold, où habitait le père d’Unna. « Depuis la mort de celui-là, diras-tu, ce n’est pas dans ce canton qu’il faut chercher les hommes de quelque valeur. » En même temps chante-lui quelques strophes pour l’amuser, car je sais que tu es scalde. Il te demandera pourquoi tu es d’avis qu’après la mort de celui-là on ne saurait trouver son pareil. Réponds : « Parce que c’était un homme si avisé qu’il ne s’est jamais trompé dans la poursuite d’un procès. — Sais-tu cependant, dira-t-il, ce qui s’est passé entre lui et moi ? — Oui, il t’a repris ta femme, et tu n’as rien eu à dire. — Mais il a été battu ! répliquera Hrut, il a fait procès, et je n’ai pas rendu la dot. » Réponds : « Tu as offert le duel, et comme il était vieux, ses amis lui ont conseillé d’abandonner la cause. — C’est cela, dira-t-il ; les ignorans ont cru que telle était