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de grand art. Cela est visible surtout dans l’architecture. L’intuition simultanée de nombreux détails disposés de manière à former un tout harmonique, le coup d’œil de l’artiste, du métaphysicien, de l’homme d’état, semble leur avoir été refusé.

En revanche, l’individualisme, la force déployée par l’individu pour s’affirmer, pour résister opiniâtrement à ce qui tend à l’écraser, pour s’asservir tout ce qui peut contribuer à la réalisation de son idée, voilà ce qui caractérise cette nation au plus haut degré. Si, dans son ensemble, comme force sociale, elle reste faible, le nombre de ses hommes marquans est proportionnellement immense. Il y aura peut-être des défauts de race inhérens à l’exercice de cette grande faculté. La prédominance du moi individuel se traduit aisément par l’écrasement des autres, l’égoïsme, la sécheresse, l’intolérance. D’autre part, la vie du sentiment et de la pensée personnelle n’en est que plus intense. Les cercles concentriques sur lesquels l’amour de soi se prolonge, la famille, la tribu, la patrie, sont l’objet d’un attachement passionné. Ces individus isolés, mais momentanément groupés par la communauté de l’intérêt, des souvenirs, de la foi, deviennent capables d’héroïsmes collectifs que rien dans l’histoire n’a dépassés. En temps normal, cet individualisme, naturellement utilitaire, engendre l’esprit de ressource, le savoir-faire, qui tire parti de tout, et qui, dans les conjonctures les plus épineuses, trouve moyen de sortir d’embarras. A défaut d’esprit philosophique ou généralisateur, l’Hébreu a l’esprit de simplification, qui en est très distinct, mais qui le supplée à certains égards. L’individu, qui traduit tout à la barre de son jugement personnel ou de son calcul, se plaît aux formules brèves et simples qui lui permettent d’asseoir l’un et l’autre avec sécurité. C’est pour cela que la sentence, le proverbe, l’apologue, la parabole, sont pour lui la forme par excellence de la sagesse. Ce sont des lettres de crédit sur la réalité qui se négocient toujours avec avantage. Qu’est-ce qu’un proverbe? C’est la simplification sous forme incisive d’une immense quantité d’expériences. Assurément il serait ridicule de prétendre qu’un phénomène aussi imposant, aussi complexe que celui de la formation du monothéisme populaire au sein du peuple juif n’a pas eu d’autre origine; mais il est incontestable qu’une pareille tendance a dû favoriser singulièrement l’éclosion et la victoire définitive du sentiment de l’unité divine. Elle a détourné de même les esprits religieux d’un culte trop chargé, étouffant l’individualité sous des formes exubérantes. Le Juif, même peu dévot, se sent instinctivement choqué par la multiplicité des objets de l’adoration comme par le luxe des cérémonies symboliques. La simplicité de son dogme et la sobriété relative de son culte lui paraîtront toujours, non pas seulement plus rationnelles, mais aussi plus religieuses. Il est un