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les garanties nécessaires, non toujours réalisées par la loi positive, mais véritablement exigibles par chacun de nous, qui lui assurent la faculté d’être ce qu’il est et non un autre, de s’appartenir dans les manifestations de sa libre volonté aussi bien que dans son for intérieur. Voilà pourquoi la sympathie des hommes, leur admiration est acquise d’avance à ceux qui luttent, dans un milieu social corrompu ou faussé, pour revendiquer les garanties de leur inviolable volonté. Aussi n’est-il pas de plus bel éloge que celui-ci : « cet homme a souffert pour son droit, il est mort pour son droit! » Et là où le droit a été violé, qu’il s’agisse d’un individu ou d’une nation, il s’élève une protestation éternelle du droit contre le fait, du droit qui juge la force et qui la condamne.

C’est là l’ancienne doctrine, mille fois répudiée par la science expérimentale et positive. — Elle repose, nous dit-on, sur l’a-priori pur. Qu’est-ce que c’est que ces droits inhérens à l’homme, par cela seul qu’il est homme, ces droits antérieurs et supérieurs aux lois positives? D’où sortent-ils? De quel ciel imaginaire tombent- ils dans la raison de l’homme? Qui les a promulgués? Qui a trouvé jamais une formule satisfaisante de ces obscurs oracles? D’où vient cette indiscutable autorité qu’on leur confère? Est-ce l’autorité d’une idée transcendante ? Mais on sait maintenant à quoi s’en tenir sur les idées transcendantes, qui ne sont que les dernières idoles de la philosophie. Est-ce l’autorité d’un dieu? Quel dieu? Quand a-t-il parlé? N’est-il pas trop facile de le faire parler à son gré, et n’est-ce pas sortir de la science que d’assigner à nos conceptions une origine mystique, sans doute pour nous dispenser d’en expliquer la naissance? — On parle de la volonté inviolable, de la liberté intérieure, principe et origine du droit, de la personnalité sacrée : purs mots ! La volonté est inviolable quand elle est assez forte pour se protéger, la personnalité de l’homme est sacrée, non parce qu’elle se proclame telle, mais quand elle est en état de se faire respecter. Ainsi se passent les choses à l’origine : plus tard, par suite du développement cérébral de l’espèce, il intervient une série de conventions entre les membres de la communauté, il se forme une opinion publique sur le bien de cette communauté, et l’opinion, aidée de l’instinct de sociabilité, donne naissance à des concepts qui ne font que traduire l’idée générale que tel ou tel groupe humain se fait de son intérêt, et à des sentimens, comme le regret ou le remords, qui ne sont qu’une manifestation et une révolte de l’instinct social. Le droit n’est donc au fond que l’accord des instincts individuels avec l’instinct social. Il exprime l’harmonie momentanée du besoin qui se manifeste en moi avec les exigences de l’espèce à laquelle j’appartiens. Il ne peut signifier que cela.