Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 12.djvu/233

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sinon d’avoir la ferme volonté et la force de maintenir la paix. « Si la politique allemande, ajoute-t-il, cherchait à se créer des difficultés avec la France et à remporter par des luttes répétées des avantages ultérieurs sur son voisin, elle verrait avec plaisir les intrigues cléricales et chauviniques la seconder dans ses desseins. Voilà les points noirs qui obscurcissent l’horizon... L’opinion publique en Allemagne ne peut voir d’un œil indifférent l’ultramontanisme et le militarisme se tendre fraternellement la main, comme si la religion n’était destinée qu’à attiser les passions guerrières, comme si c’était la tâche de l’armée française d’être une édition augmentée et corrigée des zouaves pontificaux, et de former les colonnes d’attaque de la hiérarchie romaine. » Ce passage nous montre comment aujourd’hui des esprits éclairés et sérieux jugent la France. M. de Bismarck disait dernièrement à un propriétaire poméranien que les Allemands devaient se féliciter de voir les tendances cléricales prendre le dessus en France, parce que cela affaiblirait la force militaire de la nation. « On bat facilement, disait-il, un bataillon dans lequel l’aumônier a plus d’influence que le commandant. » M. de Bismarck et l’auteur de la brochure se font en vérité une idée singulière de l’armée française; mais ceux qui souhaitent le règne de l’aumônier, ceux qui voudraient mettre l’épée de la France au service de l’Encyclique et de la restauration du pouvoir temporel, feraient bien de méditer les avertissemens multipliés qu’on leur donne de Berlin, aussi bien que de Saint-Pétersbourg et de Londres.

Les Français ont peine à se rendre compte de toute l’importance qu’a prise en Allemagne la question religieuse, des passions qu’elle y excite et du rôle considérable que jouent dans la politique d’outre-Rhin les professeurs en général et en particulier les professeurs d’histoire. L’Allemand est le plus rétrospectif des hommes. A Sedan, il se souvenait de Louis XIV et de l’incendie du Palatinat; aujourd’hui il rêve de l’empereur Henri IV, il a juré de le venger et de lui faire prendre sa revanche des humiliations de Canossa. Quelqu’un qui connaît bien M. de Bismarck disait, après la conclusion de la paix de Francfort, que Richelieu ne tarderait pas à se faire Pitt. Il entendait par là que le chancelier de l’empire allait s’occuper activement de se créer la grande situation parlementaire qui lui avait toujours manqué, qu’il soulèverait à cet effet une importante question de politique intérieure, et qu’il en profiterait pour grouper autour de lui un parti et une majorité qui fussent entièrement à sa dévotion. M. de Bismarck a soulevé la question religieuse, il a déclaré la guerre au Vatican, et le parti national-libéral est à lui, prêt à le suivre partout où il lui plaira de le conduire, docile à tous ses ordres et ne se plaignant qu’à voix basse des sacrifices parfois excessifs qu’il impose à sa fidélité. Cette guerre qu’on a déclarée au Vatican, si nous en croyons ce qu’on nous écrivait dernièrement des bords de la Sprée, on ne la regarde point comme une lutte passagère ; on ne craint pas de dire