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larges, le linge le plus uni et le plus fin, et puis la netteté la plus recherchée... » Ainsi elle apparaît, bourgeoise par la tenue comme par le caractère et par l’esprit, propre, décente, inspirant un certain respect par son honnêteté et au besoin puisant dans une conscience tranquille une bonne humeur relevée d’un ton de gronderie protectrice.

Sans être une femme du grand monde et sans être jeune, Mme Geoffrin ne laissait pas d’être recherchée par les femmes les plus brillantes comme par la jeunesse, et c’est elle qui écrit un jour : « Je suis si gaie qu’un troupeau de jeunes dames de vingt ans viennent me voir quand elles veulent se divertir. Je les fais pâmer de rire. Mme d’Egmont est à leur tête. Elles me demandent souvent des petits soupers. Je les gronde sur l’usage qu’elles font de leur jeunesse, et je les prêche pour se procurer une vieillesse saine et gaie telle qu’est la mienne. » Mme Geoffrin ne se refusait pas aux petits soupers avec les jeunes dames de vingt ans; mais il est bien clair que ce n’est pas le ton dominant chez elle. Son salon appartient avant tout aux lettres, à la philosophie; c’est le salon de l’Encyclopédie, des idées nouvelles. Là Mme Geoffrin déploie tout son art, et en vérité elle traite ses philosophes, ses écrivains, ses artistes, comme elle traite les jeunes dames de ses petits soupers; elle les gronde au besoin, elle les rappelle à la discipline; quand ils vont trop loin, elle les arrête d’un mot : «voilà qui est bien ! » Elle est un peu un témoin et un censeur dans ses réunions. C’est ce rôle de censeur que Grimm, un ami de la maison, met spirituellement en relief dans ce qu’il appelle les annonces et bans de l’église philosophique « Mère Geoffrin, dit-il, fait savoir qu’elle renouvelle les défenses des années précédentes, et qu’il ne sera pas plus permis que par le passé de parler chez elle ni d’affaires intérieures, ni d’affaires extérieures, ni d’affaires de la cour, ni d’affaires de la ville, ni de politique,... ni de finances, ni de paix, ni de guerre, ni de religion, ni de gouvernement, ni de théologie, ni de métaphysique,,., ni en général d’une matière quelconque... » Mme Geoffrin est une personne prudente qui veut bien être philosophe, mais qui, par modération de caractère autant que par prévoyance, craint les opinions trop ardentes, qui tient surtout à ne point être dérangée dans sa vie et qui règle l’atmosphère de son salon.

Ce rôle d’intendante de l’esprit ne lui était pas toujours facile; il l’exposait à des crises intimes et quelquefois à de bien autres railleries que celles de Grimm, Un jour, Montesquieu lui-même prenait feu pour l’abbé Guasco, qui avait eu quelque mésaventure chez Mme Geoffrin, et il écrivait de celle qui avait été son amie : « Elle ne donne pas le ton dans Paris, et il ne peut y avoir que quelques esprits