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Arrivé sur le placer qu’on avait choisi, on travaillait seul. On campait près d’un ruisseau, armé d’un pic et d’une pelle pour fouiller le sol, et muni, pour laver les sables, d’une vaste sébile de bois, la batée des Mexicains, ou mieux d’un plat de fer battu, rappelant ceux des ménagères. On agitait les sables avec de l’eau, on inclinait la sébile; l’or, plus lourd, restait au fond du rustique appareil. Quelquefois, quand les parcelles de métal étaient microscopiques, on employait avec l’eau un peu de mercure, qui a la propriété de dissoudre l’or comme l’eau le sel ou le sucre, et le restitue ensuite par la distillation. Ce moyen primitif, qui exige des sables d’une richesse exceptionnelle, ne pouvait être longtemps employé. Bientôt on usa du rocker ou berceau. Le nouvel appareil, surmonté d’un tamis, oscillait comme le berceau d’un enfant. On balançait d’une main le tamis chargé de terre en versant l’eau de l’autre. L’or, en vertu de sa plus grande densité, s’arrêtait en route sur une toile inclinée tendue comme un tablier au-dessous du tamis. Les uns disent que ce fut un Chinois industrieux, les autres un mineur géorgien, — car le berceau était depuis longtemps en usage sur les mines d’or des états atlantiques, la Géorgie, la Virginie, les Carolines, — qui dota de ce précieux appareil les placers californiens. C’était un grand progrès. On lavait trois fois plus de terres qu’au plat ou à la batée, et l’on pouvait doubler encore ses forces par l’association, l’un fouillant les graviers et les portant au berceau, l’autre les balançant en les arrosant d’eau, et préludant par instans à la cueillette de l’or.

Le progrès ne s’arrêta point là. Après le rocker vint le long-tom, sorte de petit canal en planches établi à demeure, autour duquel se groupèrent les mineurs, puis le sluice, canal plus large, qui exigea toute une compagnie de travailleurs. Les Chiliens apportèrent aussi sur les placers leur méthode d’opérer, qui consiste à fouiller les sables sur un courant d’eau ; les grains d’or, les paillettes, les pépites, restent dans les interstices de la roche : l’orpailleur refait généralement le travail de la nature. On se mit ensuite à détourner quelques rivières qu’on supposait avec raison rouler de l’or; on en bouleversa le lit. Les Chinois se distinguèrent entre tous dans ces nouveaux essais, où une grande discipline dans le travail exécuté en commun et des moyens mécaniques à la fois ingénieux et peu coûteux pour élever l’eau, voiturer les terres, étaient impérieusement exigés. Enfin on fouilla les placers secs, les dry diggings, qui étaient pour la plupart des lits de rivières disparues, des cours d’eau préhistoriques, des collines d’alluvions anciennes, de cailloux roulés cimentés ensemble, ou des bancs de sables argileux bleuâtres, le fameux blue-bed des orpailleurs du