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que fut montée au printemps de l’année 1867 l’étrange exposition ethnologique de Moscou[1], qui devint bientôt le prétexte d’une grande démonstration au dehors, démonstration assez inoffensive en apparence pour écarter tout embarras diplomatique, assez bien calculée cependant pour produire son effet sur des esprits naïfs et inflammables, pour fasciner de malheureuses peuplades déshéritées, plus riches d’imagination que de culture. Certes la science véritable devait retirer bien peu de profit de cette réunion projetée dans le manège de Moscou de tous les « types » slaves avec leurs costumes, leurs armes, leurs ustensiles domestiques et leurs flores; mais l’entreprise n’en fut pas moins jugée digne des protections les plus augustes. L’empereur et l’impératrice offrirent des sommes considérables pour subvenir aux frais de l’œuvre, le grand-duc Vladimir en accepta la présidence honoraire, les hauts dignitaires de la cour et de l’église se chargèrent de la direction. Des appels chaleureux furent adressés aux Slaves de l’Autriche et de la Turquie, à leurs différentes sociétés historiques, géographiques ou autrement savantes, pour contribuer par des envois nombreux à la magnificence de l’exposition, et une nuée d’émissaires s’abattit sur les pays du Danube et du Balkan, en quête d’adhésions, d’échantillons et de « types. » Des comités se formèrent sur divers points de l’empire, afin de dignement préparer la réception des « hôtes slaves, » qui ne manqueraient pas d’affluer au « jubilé national, » et bientôt il fut parlé d’un congrès où l’on s’expliquerait sur les besoins et les intérêts de tant de « peuples frères, » sur les espérances et les doléances de la grande patrie commune, de la patrie idéale. C’était le moment, il importe de le rappeler, où l’insurrection crétoise, toujours persistante, attisée par la Grèce et exagérée par des journaux trop peu ou trop bien informés, tenait en éveil et dans l’attente les populations chrétiennes de la Turquie, le moment aussi où les Tchèques de la Bohême, entraînant à leur suite presque tous les Slaves de l’Autriche, protestaient contre la constitution cisleithane et refusaient de siéger dans les chambres représentatives de l’empire. Le Kremlin devenait ainsi le mons sacer des intransigeans des deux bords de la Leitha, le congrès de Moscou prenait toute l’apparence d’un contre-parlement opposé au Reichsrath de Vienne, et le langage tenu par les organes les plus autorisés du cabinet de Saint-Pétersbourg n’était point fait pour calmer les susceptibilités des gouvernemens intéressés, ni pour dissuader de manifestations provocantes. Parlant des pieux pèlerins

  1. Voyez la Revue du 1er septembre 1867 : le Congrès de Moscou et la propagande panslaviste.