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du fleuve vers l’est, on rencontrait une population plus dense, qu’il fallait germaniser. Tout était donc à créer ou à transformer dans la Marche : les créations et les transformations se firent par l’autorité du margrave. Il manda des colons de la Saxe, des bords du Rhin et des Pays-Bas, et les colons vinrent en foule. Le chroniqueur Helmold raconte qu’Albert, après avoir « soumis un grand nombre de tribus et refréné leurs rébellions, » s’aperçut « que les Slaves allaient manquer, » et qu’il « envoya vers Utrecht, sur les rives du Rhin et chez les nations éprouvées par la violence de la mer, à savoir les Hollandais, les Zélandais, les Flamands, pour en faire venir une quantité de peuple qu’il établit dans les villes et dans les forteresses des Slaves. » Ces colons rendirent à l’état naissant les plus grands services. Parmi eux se trouvaient des hommes de noble condition : certaines familles illustres, celles des Schulenbourg, des Arnim, des Bredow, semblent trahir par leurs noms mêmes leur origine hollandaise; car le premier rappelle un château aujourd’hui ruiné de la Gueldre, et les deux autres les villes d’Arnheim et de Bréda. La plupart étaient gens de labour ou de métier; on établissait ceux-là de préférence là où il fallait féconder un sol ingrat ou gagner à la culture de vastes territoires ensevelis sous l’eau des marécages; ceux-ci furent répartis entre les villes, qu’ils enrichirent par leur industrie et qu’ils embellirent par leur art. Avant eux, les villes brandebourgeoises étaient de fort laides bourgades; les maisons y étaient bâties en grossiers moellons; les Hollandais élevèrent les premiers des édifices en briques, dont la plupart subsistent encore pour attester la rapide prospérité qui suivit leur établissement.

Cependant les Slaves, anciens maîtres du territoire qu’on se partageait ainsi, n’avaient été ni expulsés en masse ni réduits en servage. Il en est qui furent admis dans la bourgeoisie et dans la noblesse brandebourgeoises, ce qui fait dire aux historiens allemands que les vainqueurs mirent beaucoup d’humanité dans le traitement des vaincus; mais s’il est vrai que les colons se sont maintes fois établis en place libre sans faire tort à personne, il arriva souvent qu’ils se heurtèrent à un premier occupant, qui dut céder la place. On suit à travers les documens les transformations d’un grand nombre de noms de villages, slaves à l’origine, qui peu à peu s’altèrent et prennent une terminaison germanique, ou bien sont changés en noms allemands.

Longtemps après le combat, l’antipathie persista entre les deux races; pour les Allemands, Wende était synonyme d’homme de rien; on disait « unchrliche und wendische Leute, » c’est-à-dire « les vilains et les Wendes. » La cohabitation avec les vainqueurs était intolérable aux vaincus ; les corporations allemandes ne s’ouvraient pas pour