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Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 12.djvu/434

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après la guerre de trente ans, le grand Frédéric, après la guerre de sept ans, l’ont à nouveau créée. Tous les deux, quand ils parcourent leurs états dévastés, ordonnant de relever telle ruine ou de dessécher tel marais, d’arroser et de fertiliser telle lande déserte, appelant des colons de tous pays, reconstruisant ou bâtissant des villages par entreprise, rappellent les Ascaniens, au moment où ils prirent possession du pays transalbin, désolé par la guerre, et que les villes et les villages s’élevèrent par leur ordre et sous leurs yeux. Quoi d’étonnant que leurs successeurs se sentent et se disent supérieurs à la condition d’un roi constitutionnel?

Si les Hohenzollern ont suivi l’exemple des Ascaniens, c’est assurément sans le savoir : Frédéric II ne connaît pas leur histoire, dont il parle avec dédain. La persévérance dans les mêmes traditions s’explique par la persistance des mêmes nécessités. Laissons de côté toutes les déclamations sur une mission allemande et chrétienne de la Prusse, pour résumer l’étude qui vient d’être faite en quelques lignes qui pourraient servir d’introduction à la philosophie de l’histoire prussienne.

L’état brandebourgeois est né sur une frontière disputée entre deux races ennemies : son origine est donc toute militaire. Il aurait pu se faire à coup sûr qu’un autre état allemand grandît à cette frontière, et les circonstances qui ont édifié la fortune de la Marche sur les ruines de ses rivaux n’étaient point nécessaires et fatales. C’est sa médiocrité même qui l’a protégée contre une tempête semblable à celle qui a détruit le duché de Saxe; c’est sa pauvreté qui a stimulé la hardiesse et l’activité de ses chefs. D’ordinaire l’historien qui recherche les causes de la fortune d’un état trouve les premières et les plus importantes dans une heureuse situation stratégique, bonne pour la défense et pour l’attaque, dans la fertilité du sol, qui donne la richesse, source de tout progrès. Ici tout est renversé : le sol ingrat donne peu en échange d’un travail opiniâtre, et la nature n’a point pourvu à sa défense; pour comble de malheur, les circonstances historiques ont mis de tous côtés des ennemis, et ce sont précisément ces désavantages qui ont fait la fortune du Brandebourg.

Pour vivre et pour grandir dans des circonstances si difficiles, il fallait dans l’état de l’ordre, de la hiérarchie, de la discipline; la Marche se donna tout cela. Quand les institutions naissent d’elles-mêmes, ce n’est jamais sans quelque désordre; quand on les établit, c’est toujours sur un plan plus ou moins bien conçu : or, une fois qu’ils eurent passé l’Elbe, les margraves se trouvèrent en terre nouvelle, libres d’y bâtir comme ils l’entendaient. Ils firent beaucoup mieux qu’on ne faisait de leur temps, et bien que leur temps