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Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 12.djvu/56

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pour être admis à l’école des cadets royaux. Nous avions déjà revu l’arithmétique plusieurs fois, je la possédais suffisamment ; la géométrie et l’algèbre entrèrent en ligne. C’étaient ses études favorites, on aime toujours ce que l’on connaît bien ; il me tenait des heures entières au tableau, puis, me voyant fatigué, tout à coup il s’écriait en riant : — Allons, Siegfried, c’est assez pour aujourd’hui ; laissons la craie et l’éponge, en route !

Je respirais. Nous descendions seller nos chevaux, nous partions comme des bienheureux. L’excellent homme semblait rajeuni ; il voulait tout m’apprendre : la natation, l’équitation, les armes, et, tout en galopant sur le rivage, Jacob derrière nous à distance, il s’écriait : — Siegfried, je tiens à ce que tu sois le premier cadet royal à l’école ; je tiens à ce que tes professeurs n’aient plus rien à t’enseigner. Je veux que tu sois fort, vigoureux, adroit et rusé, comme je l’étais à trente ans, et que le jour où l’on tirera le sabre contre ces gueux de Velches, qui nous avaient réduits à zéro en 1806, et qui nous ont valu la perte des trois quarts de nos privilèges avec leurs principes de 89, je veux que tu puisses les hacher comme de la chair à pâté. Je serai déjà mort sans doute ; mais tu te souviendras de moi, tu croiras m’entendre crier : « Courage, Siegfried, courage !.. Tape ferme,… hache,… massacre,… pas de quartier ;… la pitié est une bêtise française… Brûle tout ce que tu ne peux emporter ;… happe !.. happe !.. mon garçon,… c’est le droit de la guerre,… ce qui est conquis par le glaive est bien acquis !.. » Canailles !.. nous ont-ils fait du mal avec leurs droits de l’homme ! Sans eux, jamais le baron de Stein n’aurait obtenu de Frédéric-Guillaume l’abolition du servage, ni l’admissibilité des brutes aux emplois civils et militaires, ni la déclaration que les anciens serfs pourraient acquérir des terres nobles, ni le droit pour les communes d’élire leurs magistrats municipaux, ni cinquante autres ordures pareilles, qui montrent bien l’abomination de la désolation où nous étions alors… Jamais les Hardenberg n’auraient osé porter la main sur notre vieille constitution !., mais il fallut promettre au peuple des libertés, il fallut lui accorder des droits, il fallut imiter la constitution des jacobins, pour entraîner toute la nation à nous soutenir, à combattre avec nous les envahisseurs. Ah ! oui, les gueux nous ont coûté cher ;… mais gare… gare… nous sommes en train de dresser nos bouledogues à la chasse, de leur apprendre à mordre, de leur inoculer dès l’école la haine impitoyable du Velche. Une fois la première partie gagnée, l’Allemagne sous notre griffe et toutes ces grosses brutes allemandes disciplinées à coups de trique, nous irons là-bas régler le compte définitif de ces bandits ; nous serons cinq ou six contre un, car ils sont trop bêtes pour s’attendre