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Viennent cependant les jours de tristesse et d’épreuve, et il se trouvera que ce tyran, le passé, possède aussi ses baumes pour nos blessures, ses cordiaux pour nos découragemens, surtout ses caïmans pour nos irritations. Combien la fortune a de retours dans les récits qu’il nous fait ! combien le génie humain y montre de ressources ! combien la nature y opère de lentes guérisons et combien la Providence y créé de soudains miracles ! A tout le moins il est une consolation qu’il réussit toujours à nous donner, c’est de nous sauver du désespoir en nous montrant combien de fois les nations ont été désespérées, et ont eu raison de l’être en apparence. Pourquoi faut-il que la réciproque ne soit jamais vraie, et qu’il ne nous enseigne pas aussi sûrement la défiance, en nous montrant combien de fois les nations ont été confiantes et ont dû se repentir de l’avoir été ?

Au moment de quitter Lyon pour prendre le chemin de l’Auvergne, d’aimables amis m’enlevant, malgré ma résistance, me conduisirent au château de La Flachère, propriété de M. le comte de Chaponay, où je reçus la plus généreuse des hospitalités, et où j’eus le plaisir de dormir sous des rideaux d’une très belle perse parsemés de coqs fantastiques, amusante traduction emblématique du nom du propriétaire, perse expressément fabriquée pour lui, sur les dessins qu’il en a donnés[1]. Le château de La Flachère, situé sur une éminence sans raideur ni escarpemens, à quelque distance du gros bourg de Bois-d’Oingt, n’a rien à démêler avec le passé, si ce n’est pour les formes de son architecture, car il est de construction toute récente. Malheureusement inachevé encore, il n’en est pas moins une des plus jolies créations de M. Viollet-Le-Duc, qui a su y fondre avec un goût parfait les plus charmantes des architectures du XVIe siècle et de l’époque Louis XIII. Une élégante diversité règne dans cette construction soignée où l’on a accès par les quatre côtés, et qui présente ainsi comme quatre façades dont la moins belle est la principale ; mais que la façade de derrière est donc jolie avec son pont-levis en miniature aboutissant à une étroite entrée noyée dans l’ombre de deux gracieuses tourelles qui ont l’air de la refouler doucement, et que les deux rampes des escaliers des façades latérales sont d’un dessin heureux ! Aucun éclectisme dans cette diversité, c’est-à-dire aucune marqueterie, aucune juxtaposition de styles différens ; c’est comme un exquis consommé architectural où les formes variées dont l’artiste s’est souvenu ont disparu en se

  1. Ce blason parlant, s’il en fut, s’il traduit littéralement la forme moderne du nom, est loin d’en faire apparaître le sens étymologique et la provenance historique. Ce n’est pas un coq, c’est une source jaillissant de terre qu’il faudrait pour traduire la signification réelle de ce nom, Chaponay, Caput aquœ, le chef, la tête de l’eau.