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défier hardiment quiconque la verra d’en porter un autre jugement. Toutefois la tyrannie d’une passion dominante produit souvent des résultats analogues à ceux de la méchanceté, et il est probable en conséquence que les prodigalités de Jean eurent maintes fois les mêmes effets qu’aurait eus l’avarice. Comme son frère Charles V, il aima les beaux manuscrits ; comme son frère Philippe de Bourgogne, il aima les beaux édifices, et comme son frère Louis d’Anjou, il aima les meubles précieux, les joyaux de prix et les pierres rares richement serties. Sa collection de bagues était si célèbre qu’on venait la voir des quatre points cardinaux et que son neveu Arthur de Richemont, — le futur connétable et duc de Bretagne, — ayant eu besoin dans sa jeunesse d’échapper à une surveillance politique trop étroite, prétexta, pour s’évader et respirer un peu plus librement, d’un désir ardent de voir les bagues de son oncle, sans que personne en fût étonné. Il faut croire qu’il porta en Auvergne cette même rage de joyaux et de bagues, car je lis dans Savaron que Martin de Charpaignes, évêque de Clermont et ancien chancelier de Jean, chargea à sa mort son neveu Guillaume de Charpaignes, évêque de Poitiers, de présenter de sa part à Charles VII le rubis que le duc lui avait donné.

Qu’on blâme ou non ces prodigalités du prince, toujours est-il que Riom lui doit encore aujourd’hui son principal ornement. Ce n’est pas cependant que cette Sainte-Chapelle soit un édifice à faire pâmer d’admiration ; c’est un vaisseau nu et sans colonnes, plus haut que large, flanqué de deux chapelles profondes, se terminant en ovale et fermé sur les côtés et à son extrémité d’immenses verrières qui laissent passer la lumière à flots. Quoique la sobriété soit d’ordinaire une des conditions de l’élégance, on ne peut s’empêcher de trouver qu’ici l’économie d’ornemens a été cependant poussée à l’excès. En revanche, les verrières qui sont postérieures à Jean de Berry sont admirables. Au bas de la principale, Jean, très jeune, est agenouillé avec sa femme, Jeanne d’Armagnac, tous deux assistés de leur patron commun Jean-Baptiste ; à sa suite, après un intervalle, un autre couple princier se présente, assisté d’un patron qu’on reconnaît aisément pour le roi saint Louis et d’une sainte qui fait hésiter entre sainte Catherine et sainte Marguerite. Quel est ce second couple ? Est-ce Jean de Bourbon, le gendre du duc de Berry, qui pour marquer sa descendance directe de saint Louis, s’est fait représenter assisté du pieux roi ? Je n’ai pu le reconnaître lors de ma visite à Riom, et je n’ai pu découvrir depuis aucun renseignement à ce sujet. Peu importe d’ailleurs ce détail, car l’intérêt de ces verrières est non pas dans ces groupes princiers, mais dans la manière dont les artistes ont compris les saints personnages qu’ils représentent, et ici encore nous avons une