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Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 12.djvu/670

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son enfance. Il retrouvait sans efforts la tradition des âges primitifs. Quelques pièces dispersées çà et là, tantôt de belles imitations virgiliennes, tantôt des peintures directement inspirées de la nature provençale, furent ses premiers essais. Plusieurs de ces hardies ébauches parurent dans le recueil dont nous parlions tout à l’heure. Telles sont par exemple les strophes si neuves sur le furieux vent de la vallée du Rhône.


« Écoutez-le : quelle tempête ! Où va-t-il et d’où vient-il ? Tu es pour nous un vrai fléau, et pourtant nous t’aimons, roi des vents ! Grâce à toi, dans nos veines circule incessamment un sang plus vif, et quand tu es là chassant le Rhône en souverain, à coups de fouet tu nous remues si l’été veut nous énerver.

«… Taisez-vous, vents de la mer, vent de la tramontane, vent de Narbonne, vous qui, pour tordre un brin d’osier, êtes forcés de vous donner au diable ! Dieu vous fit, molles brises, pour caresser le bouton des fleurs ; le mistral, il le créa pour bercer les chênes, les grands arbres enfans des monts, et aussi pour en être la hache. »


Dès l’insertion de ces pages dans le recueil des Provençales, on pouvait signaler chez le jeune poète l’ambition de mêler à la grâce naturelle de la langue du midi la vigueur d’une littérature plus mâle. Personne, disions-nous, ne regrette plus que lui la mollesse d’idées et de style qui a été si fatale au génie de ses aïeux. Il ne renonce pas à l’élégance, mais quel sentiment hardi de la réalité, quelle énergie redoutable dans ses-peintures ! Soit qu’il chante la Belle d’août et qu’avec une grâce funèbre il associe toute la nature éplorée aux malheurs de son héroïne, — soit que, dans l’étrange pièce intitulée Amarun, il attaque le débauché, le secoue, le flagelle, et l’enferme, épouvanté, au fond du sépulcre infect, — soit que, devant un épi de folle avoine, son ironie vengeresse châtie l’oisiveté insolente, toujours il y a chez lui une pensée généreuse, une imagination agreste, un langage imprégné des plus franches odeurs du terroir. S’il nous était permis de nous citer nous-mêmes, nous rappellerions quel pronostic nous avait inspiré dès 1852 la vigueur de ces premières ébauches. C’est alors que nous disions avec confiance : « Ce qui a pu être pour d’autres une simple farandole est pour lui une chose grave. Il est un de ceux qui ont pris le plus à cœur la restauration du pur langage d’autrefois. Si cette école s’organise avec suite et produit d’heureux fruits, ce sera en grande partie à M. Frédéric Mistral qu’en reviendra l’honneur. »

Il serait bien superflu de rappeler avec quel éclat les deux poèmes de Mireille et de Calendal, le premier surtout, justifièrent ces pressentimens. On pouvait attendre beaucoup du jeune maître-chanteur