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formes qui sont sortis de cette langue. Nous donnerons un ou deux exemples de l’un et de l’autre ordre de faits en commençant par ceux où l’ombrien se rapproche des langues modernes.

Tout le monde sait, depuis que la philologie a cessé d’être une science fermée au grand nombre, quelles sont les principales différences qui séparent le latin des idiomes romans, du français par exemple. Les mots se resserrent et perdent une partie de leurs syllabes : celles qui précèdent et celles qui suivent la syllabe frappée de l’accent tonique sont ordinairement sacrifiées. Ce fait se produit déjà en ombrien : populum devient poplom, ce qui est déjà notre français peuple; vestitus (revêtu) devient vestis et piatus (consacré) fait pohaz. D’autre part la déclinaison s’appauvrit : nous voyons par exemple en français que le pronom relatif, au lieu des cinq cas du latin, n’en a plus que deux : qui et que. De même en ombrien le neutre du pronom relatif commence à servir pour le masculin, et le singulier est employé là où les règles d’accord exigeraient le pluriel. Il s’est trouvé de nos jours des philologues à idées aventureuses qui n’ont pas craint de soutenir (voulant probablement faire honneur à notre vieille Gaule) que le français est non pas une langue dérivée du latin, mais un frère du latin, non moins ancien et non moins primitif. Ces savans n’ont pas manqué d’appeler au secours de leur thèse le dialecte des Tables eugubines : il y a là en effet des phénomènes de décomposition qui annoncent déjà ce qui devait se passer dans la Gaule quatre ou cinq siècles plus tard; mais il est aussi des parties par où l’ombrien se montre plus ancien et mieux conservé que le latin. Ainsi certaines formes du verbe, certaines flexions du nom, qui ont disparu de la langue latine ou qui ne s’y trouvent plus qu’à titre d’exception, sont ici d’un usage courant. Je citerai seulement les génitifs en as, qui ne sont restés en latin que dans le seul mot pater-familias. Un des attraits de cette étude est de trouver employés en leur sens propre des termes qui en latin n’ont plus qu’un sens secondaire ou détourné. Ainsi mestra (pour maistra) est un adjectif féminin signifiant « plus grande, » tandis qu’en latin magister est devenu substantif et désigne toujours le maître : des expressions comme magister equitum (le plus grand parmi les cavaliers) nous laissent encore voir de quelle façon s’est opéré ce changement. Le mot filius veut dire « le fils » en latin : l’ombrien sues filios (des cochons de lait) nous montre que le sens originaire est « nourrisson[1]. » Certains renseignemens donnés par les poètes ou par les grammairiens trouvent une confirmation

  1. On peut rapprocher ce qui s’est passé en français, où infans (l’enfant qui ne parle pas encore) a donné le terme général d’enfant, sans compter infanterie et fantassins.