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a gardé l’épaisseur qu’il faut pour donner de beaux plis, mais on sent partout la chair sous cette souple enveloppe qui l’épouse amoureusement, qui en dessine, au lieu de les cacher, tous les mouvemens et tous les reliefs. Ces trois figures sont de proportion plus grande que nature : elles ont cette plénitude de formes dont s’effarouche parfois la mièvrerie moderne ; mais, avec la saine vigueur d’un corps librement épanoui, elles gardent dans leurs poses variées un abandon, une aisance et une grâce toute féminine. Comme le dit Beulé dans ce livre que l’on a tant de plaisir à relire après une visite au Musée-Britannique, « le groupe des trois Parques est dans la sculpture drapée ce qu’est le Thésée dans la sculpture du nu, le dernier mot de l’art[1]. »

Il y a là, en face des marbres du fronton oriental, un banc de bois, un des rares bancs du musée. Que d’heures délicieuses j’y ai passées à promener mes regards sur tant d’ouvrages admirables, à m’en emparer par l’étude, à tenter de recomposer cet ensemble et de m’en donner la vision et comme l’hallucination ! Ces métopes, cette frise, ces statues nous ravissent encore, éparses, mutilées, aperçues de trop près, dans le jour terne et diffus d’un musée anglais ; combien ne devaient-elles pas être plus belles encore quand elles étaient entières et vues en leur place, à la distance pour laquelle l’auteur en avait calculé l’effet, quand, dans l’air pur et la claire lumière d’Athènes, harmonieusement groupées, elles se détachaient sur l’azur dont était peint le champ des frontons ! comme à cette hauteur et sous cet abri des rampans le mouvement et le modelé des grandes figures en ronde bosse se dessinaient par des ombres bien plus nettes, bien plus franchement portées ! Je sais tel artiste qui, comme jadis le docteur Faust pour voir la Grecque Hélène, ferait volontiers marché avec Méphistophélès, s’il savait où le prendre, afin de pouvoir contempler, ne fût-ce que pendant une heure, les monumens de l’Acropole, tels que les salua de son enthousiasme le peuple athénien, au lendemain de l’achèvement des Propylées et du Parthénon.

Il faut arrêter ici cette revue, et pourtant que d’oublis nous reproche notre conscience ! Ce sont, dans la salle d’Elgin, les figures plus mutilées encore du fronton occidental, dont le travail n’est pas tout à fait le même et que l’on a pu, non sans vraisemblance, attribuer à Alcamène, le rival de Phidias, c’est le Dionysos du monument de Thrasylle. Dans la salle du Mausolée, c’est l’Esculape Blacas, l’un des plus précieux morceaux d’une collection célèbre que la France s’est laissé ravir, il y a une dizaine d’années. Dans le

  1. L’Acropole d’Athènes, in-8o, 1862, p. 239.